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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/510

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celles qui savent prendre le courant des passions populaires. On a dit qu’il n’avait fait qu’obéir à l’appel de sa conscience et de sa foi ; mais il s’agissait de politique beaucoup plus que de religion, et il avait montré, notamment lors de la faveur du maréchal d’Ancre et dans les premiers temps de celle de Luynes, qu’il avait assez de souplesse dans l’esprit pour savoir s’accommoder aux circonstances.

Il avait, il est vrai, hérité de ses ancêtres, les d’Albret, cl de sa mère, Catherine de Parthenay, quelque chose de cette roideur qui se rencontre dans la fière devise des Rohan ; il avait été élevé par un ministre intraitable, un « front d’airain, » Durant de Hautefontaine ; son frère, le téméraire Soubise, exerçait sur lui une grande influence et l’entraîna souvent ; on peut admettre, enfin, qu’au moment où tous les héros des grandes guerres du XVIe siècle, les Bouillon, les Lesdiguières, les Sully, vieillissaient ou se dérobaient, il fut séduit par la perspective de jouer un rôle digne de ses capacités et de son génie militaire ; mais il ne me paraît pas possible de négliger entièrement une considération qu’il dut rouler longtemps dans ses pensées secrètes.

Il savait, lui, que, par sa grand’mère, Isabel d’Albret, fille de Jean d’Albret, roi de Navarre, il était héritier de la couronne de Navarre et de Béarn, au cas où les enfans de Henri IV viendraient à disparaître sans postérité. Or, Louis XIII n’avait pas d’enfant. La réunion du Béarn et de la Navarre au domaine inaliénable des rois de France le lésait donc directement. À ces époques où l’hérédité causait la souveraineté, les questions successorales étaient d’un intérêt dominant. On avait vu les Bourbons réclamer et obtenir légitimement, après quatre siècles, le trône de Saint-Louis… Le sort du Béarn et de la Navarre étant réglé par un acte de l’autorité royale, Rohan se tut ; mais il agit.

Luynes le connaissait bien ; car il était son allié, et ils avaient d’abord marché ensemble, accordant leurs ambitions. Aussi l’inquiétude du favori dut s’émouvoir, quand il sut qu’il aurait à faire à un tel adversaire. Mais les événemens étaient plus forts que sa volonté : on ne pouvait laisser sans réponse les exigences et les menaces du parti protestant. Le parti catholique, excité par Rome, qui appréhendait une intervention armée de la France en Allemagne ou dans la Valteline, soufflait sur le feu. Dans le conseil, Condé, les cardinaux le confesseur, les ministres, tout