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empereur Guillaume ! Et nous, que vénérons-nous, que respectons-nous ?

Cher ami, je vous embrasse, écrivez-moi bientôt. Je suis à Leipzig encore pour quatre semaines au moins ; écrivez-moi : M. Didon, poste restante.

Tout vôtre.


Leipzig, 6 mai 1889.

Devinez d’où je vous écris, cher ami De la fameuse cave (Wein-Stube) où Gœthe a composé plusieurs scènes immortelles de son Faust. C’est une vraie cave voûtée où l’on allume le gaz en plein midi ; les murs sont décorés de sombres fresques qui retracent la vie du grand poète, ses amours, — car ce Jupitérien est souvent descendu de son ciel sur la terre, parmi les filles d’Eve, — ses drames, ses folies… Cette cave est célèbre à Leipzig ; pas un Saxon ne vient dans la vieille ville savante, sans faire son pèlerinage à la cave de Gœthe. Mais le poète lui a donné une sorte de consécration. Dans cette Stube, on ne boit pas de bière : on ne boit que du vin. La bière est laissée au vil peuple. Quand on approche de ces Dieux qui sont les poètes, il faut s’abreuver de la divine ambroisie. C’est vous dire, cher ami, qu’aujourd’hui je fais un déjeuner de gala ; c’est mon dernier repas à Leipzig ; dans trois heures, je serai en route pour Berlin.

Je ne veux pas quitter ce pays où j’ai fait ma première éducation, mes premières armes allemandes, sans vous envoyer une nouvelle lettre. J’ai été sans cesse soutenu dans mon voyage par l’intérêt puissant et la nouveauté de tout ce qu’il m’a été donné d’observer ; détails de mœurs, vie sociale, phénomènes politiques et religieux : tout est à relever, dans ce pays si différent du nôtre, si instructif par conséquent, si vivant et si plein d’avenir. Dans les trois dernières semaines, j’ai étudié surtout le fonctionnement, l’organisation, la constitution de la vieille Université. Cela m’a permis de connaître, par le plus vieil échantillon, l’ensemble des Universités allemandes, et aussi de me rendre compte des conditions intellectuelles dans lesquelles se forme la jeunesse de ce pays. Chose étrange ! Les bâtimens de l’université sont un ancien couvent de Dominicains. Le cloître, avec ses voûtes ogivales, ses fresques, ses jolies fenêtres, est encore intact : c’est un passage public. Chaque jour, je me donnais la joie mélancolique de venir là, regarder les têtes à demi effacées de mes aïeux. Ils