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anciens mélodrames larmoyans, des mouchoirs étaient distribués aux claqueurs, tenus de se moucher avec émotion aux endroits pathétiques. Effet immanquable, paraît-il, la salle pleurait et se mouchait. Ces larmes d’ordonnance ont vieilli ; la consigne ne subsiste que pour l’hilarité ; d’abord, parce qu’un gros éclat de rire, lancé à propos, se communique aux alentours bien mieux qu’un battement de mains ; ensuite, parce que la gaîté n’est pas agressive : le public ne se fâche jamais contre un homme qui rit, tandis qu’il « chute » ceux qui applaudissent à outrance, lorsqu’il blâme leurs applaudissemens. Ce rire de convention a sa gamme : les gens du métier en notent cinq intonations en A, E, I, O, U. Le rire en A est délicat ; en I, il est tendre ; le rire en E convient aux fortes saillies ; le mot grivois ou à double entente amène le rire en U.

Les « chevaliers du lustre, » ainsi que leur place au milieu du parterre avait fait nommer les claqueurs, siègent parfois aux galeries supérieures ; ils se divisent en trois catégories : le plus petit nombre reçoit une solde de 1 fr. 50 ou 2 francs. Quelques-uns, — les « lavables, » en argot local, — paient une moitié de place ; le gros du bataillon se compose de claqueurs « au pair, » — les « intimes, » — amateurs à qui la gratuité de leur entrée tient lieu de salaire, et qu’on nommait jadis des « passe-volans. » Si, dans leurs rangs, se trouvent des brebis galeuses qui vendent leur contremarque au premier entracte, le signalement de ces indélicats est aussitôt envoyé dans les autres salles, qui les mettent à l’index.

La claque est-elle utile ou superflue ? Le public parisien, disent les hommes de théâtre, pousse la correction jusqu’à la froideur. Il souffre volontiers qu’on lui épargne la peine de manifester son assentiment : il n’attache aucune importance à ces bravos dont il sait l’origine, mais les tolère pourvu qu’il n’y voie pas une leçon pour lui-même. C’est au chef de claque à suivre, en « forçant » ou ne forçant pas, l’état d’âme des assistans, qui tantôt permet l’ « enthousiasme bruyant » ou le « dédire, » tantôt oblige à ne pas dépasser la « satisfaction discrète » ou les « murmures flatteurs. » Dans le cas où les claqueurs excèdent la mesure, le spectateur n’est pas long à s’impatienter.

Mais, s’ils sont incapables de faire un succès, ils servent de stimulant au jeu des acteurs. Le public, même celui des premières, ignore ce qu’un signe de mécontentement peut avoir de