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ainsi de tous les biens des victimes, et les nouveaux maîtres de la cité, étant libres d’en disposer à leur gré, les gardaient pour eux. L’histoire de la Grèce est pleine de révolutions de ce genre. Elles débutèrent au moment des premiers conflits entre le parti aristocratique et le parti démocratique, et elles durèrent jusqu’à la conquête romaine. Ce singulier phénomène d’un peuple acharné à se déchirer lui-même pendant une longue suite de générations ne saurait s’expliquer uniquement par l’égoïsme des riches et la cupidité des pauvres. Il doit tenir à des causes plus profondes, et en voici une qui saute d’emblée aux yeux.

L’homme libre qui voulait gagner sa vie par son travail se heurtait à la concurrence de l’esclave. En premier lieu, son salaire était déterminé par le prix de la main-d’œuvre servi le. Quand l’employeur a la faculté d’opter entre deux catégories de travailleurs, chacune d’elles est obligée d’abaisser ses exigences au même niveau que l’autre, sous peine d’être délaissée. C’est ce qui se passe aujourd’hui dans les contrées où des étrangers plus sobres, moins besogneux et plus faciles à satisfaire viennent disputer le travail aux indigènes ; il en résulte une diminution plus ou moins sensible des salaires locaux, comme c’était le cas en Australie ou en Californie avant l’adoption des mesures restrictives de l’immigration chinoise. L’ouvrier grec souffrit de même de la présence des esclaves. Son travail fut estimé d’après le coût de leur travail, et il fut payé suivant un tarif conforme à leurs besoins et non pas aux siens, sans qu’il lui fût possible d’ailleurs de s’entendre avec eux pour forcer la main aux patrons. Il ne pouvait pas compter davantage sur la grève ; cette arme, si efficace de nos jours, eût été alors sans vertu, puisqu’il aurait suffi, pour la paralyser, de s’adresser à la main-d’œuvre rivale, qui n’avait guère, quant à elle, le moyen de se dérober à l’appel de son maître. L’esclave nuisait, en outre, à l’homme libre parce qu’il lui enlevait de l’ouvrage, et même beaucoup d’ouvrage. Lorsqu’on avait acheté un individu qu’il fallait nourrir, vêtir et loger, on tenait naturellement à ce qu’il ne demeurât pas inactif. Si nos industriels sont en perte chaque fois que leurs machines sont arrêtées, la remarque est encore plus vraie des possesseurs d’esclaves ; car une machine en chômage n’est qu’un capital improductif, tandis qu’un esclave oisif est un capital qui occasionne des dépenses sans rien rapporter. Il était donc doublement nécessaire, pour quiconque, en Grèce, avait des