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faveur dont y jouissent les théologiens tient peut-être à ce que, seuls de tous les penseurs, ils concilient la plus haute spéculation avec l’intérêt suprême. En Amérique, moins encore que partout ailleurs, la philosophie pure aurait pu s’épanouir. Il lui manquait la longue tradition de recherche qui prépare un penseur, le recueillement qui l’isole et le détachement qui l’élève. Les « pères pèlerins » avaient apporté, avec leurs outils indispensables et leur volonté robuste, une foi qui suffisait à satisfaire leur raison et les besoins, plus exigeans, de leur conscience. Voilà pourquoi toute idée devait se faire théologique, sous peine de n’exister point pour eux. En 1835, James Walker, professeur de morale à l’Université de Harvard, préconisait une réforme de la méthode théologique, au nom de « nos relations avec- le monde spirituel, » et il inquiétait par ses hardiesses le fondateur et le chef de l’église unitarienne, Channing, qui voyait dans cette tendance mystique une « substitution de l’inspiration individuelle au christianisme[1]. »

Là même était la raison du succès pour cet esprit nouveau. Il allait, en approfondissant l’individualisme américain, le dilater et le transfigurer en quelque sorte, lui donner une force et une portée inconnues. L’individu pourra plus que jamais croire en lui-même ; mais, en même temps qu’il saura vivre sa propre vie, parce qu’il en connaîtra le prix, il pourra suivre son impulsion, parce qu’il en comprendra la force ; et son âme puisera la confiance dans le sentiment de l’harmonie qui l’unit aux autres âmes et à l’univers. Tel est le sens de ce transcendantalisme que préparait l’apparition de la métaphysique allemande en Amérique. Il apportait vraiment la lionne Nouvelle. Qui donc allait se trouver là pour prêcher l’Evangile ?


II

Il y avait alors, à Boston, un jeune ministre unitarien qui, après avoir résigné sa charge par scrupule de conscience, tout en continuant de prêcher, songeait à abandonner définitivement la prédication et entrevoyait, dans la conférence, un meilleur moyen de tout dire et de n’engager que soi, d’exposer librement sa pensée sans nul prestige étranger qui l’impose, peut-être parce

  1. Voyez dans la Revue du 1er avril 1883, un article du comte Goblet d’Alviella sur les Origines et le développement du rationalisme religieux aux États-Unis.