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s’éclairent l’un par l’autre à ses yeux, lui révèlent leurs relations cachées, leurs harmonies secrètes. De là le charme, un peu bizarre parfois, mais presque toujours saisissant, de son style. « J’aimerais, disait-il, enfermer l’odeur des pins dans mon livre et le bourdonnement des insectes ; je voudrais que l’hirondelle, entrant par ma fenêtre ouverte, m’apportât le brin de paille qu’elle tient dans son hoc, et je le tisserais avec le reste aussi. » Ce souhait s’est plus d’une fois accompli ; et le style d’Emerson fleure alors si doucement qu’il embaume de poésie la vérité puisée aux profondeurs mêmes de la pensée et de la nature, ces deux sources de révélation.


III

Interrogeons notre pensée. Elle s’éclaire par instans à des profondeurs qui nous laissent voir la lumière intérieure. Ce sont les courts momens d’intuition ou de foi. Nous avons conscience alors de l’unité on qui reposent nos âmes et l’univers. Comme tous les argumens sont pou de chose on comparaison de l’intuition ! « L’évidence réelle est trop subtile ou est plus élevée que nous ne pouvons le dire dans nos écrits. » La Religion ou Adoration est l’attitude de ceux qui ont conscience de cette Unité et lui obéissent. Car « l’intuition procède de l’obéissance, et l’obéissance procède d’une joyeuse perception… Lorsque l’âme universelle souffle à travers notre intelligence, elle s’appelle génie ; à travers notre volonté, vertu ; à travers nos affections, amour. » Le génie consiste donc à livrer passage à l’esprit, sans obstruction. La vertu est une adhérence, en action, à la nature des choses ; elle substitue perpétuellement le mot être au mot paraître « et la définition la plus sublime qu’on ait faite de Dieu, c’est de le nommer : Celui qui peut dire JE SUIS. » L’amour est une ascension par l’intermédiaire d’un autre être : « Vous aimez le mérite qui est en moi ; mais ce n’est pas moi, c’est le mérite qui fixe l’amour ; et ce mérite est une goutte de l’océan de mérite qui est par-delà moi. » Aussi faut-il savoir se détacher de l’amour pour s’élever à la perception d’une vérité nouvelle, à la possession d’un bien nouveau. Le véritable amour anime le savant et le saint : tous les deux obéissent à la même loi, qui est le renoncement à soi-même. Le devoir intellectuel est l’adoration du vrai, et le devoir moral, l’adoration du bien. L’un et l’autre