Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/674

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est en lui. Le voisin qui cause avec son voisin, l’ouvrier qui fait sa journée, participent à l’infinité de l’Esprit. Déjà l’art a reconnu cette vérité. « La littérature du pauvre, les sensations de l’enfant, la philosophie de la rue, la signification de la vie journalière sont les sujets de ce temps… Que je voie chaque bagatelle se hérisser de la polarité qui la range instantanément sous une loi éternelle : l’échoppe, la charrue et le registre rapportés à cette même cause par laquelle la lumière ondule et les poètes chantent… L’homme est surpris de trouver que des choses proches ne sont pas moins belles ni moins étonnantes que des choses éloignées… La goutte est un petit océan[1]… » Emerson glorifie Goldsmith, Burns, Cowper, Goethe, Wordsworth et Carlyle, qui ont eu cette perception de la valeur du vulgaire. « Ce qu’ils ont écrit, dit-il, a la chaleur du sang. » Lui-même composa de courts poèmes d’un singulier réalisme, dont pourraient s’étonner ceux qui ne connaissent que sa métaphysique. Et, dans les plus larges envolées ou les plus rudes tâtonnemens de sa prose, quelque détail précis, quelque allusion imprévue, un rapprochement bizarre, vient, à tout propos, nous rappeler qu’il n’y a rien de vil ni d’insignifiant dans la cité de Jupiter.

La qualité du sort n’a rien à voir avec le bonheur : « Donnez-moi la santé et un jour : toute la pompe des empereurs paraîtra vaine. » Car la joie sort naturellement de nous et des choses : elle n’est que la conscience de notre intime grandeur et la perception de leur intime beauté. L’Ame qui nous fait grands et qui les fait belles saura bien nous faire heureux, si seulement nous restons assez simples, et assez purs pour que nos yeux puissent voir encore « le rayon de la sagesse illuminer la solitude silencieuse des bois de pins… »

Puisque les moindres pensées ont leur prix, les plus simples actions leur valeur, les plus humbles destinées leur noblesse et les plus médiocres conditions leurs joies, gardons-nous de considérer la vie comme l’utile et vaine, quand elle n’apporte pas d’événemens extraordinaires. Sachons voir la beauté de la simple vie quotidienne, seule richesse de ceux qui n’en ont point d’autre. Un écrivain belge, M. Maurice Maeterlinck, n’avait plus qu’à utiliser ce thème pour composer une suite de variations sous ce joli titre : Le Trésor des humbles. N’est-ce pas le nom qui

  1. Nature, Adresses mut Lectures, — The American Scholar.