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LE MAROC
ET
LES PUISSANCES EUROPÉENNES

Le voyageur qui vient de quitter Oran, sur le bateau de la « Compagnie de navigation mixte, » et qui vogue lentement vers Tanger, en côtoyant le littoral méditerranéen du Maghreb, éprouve une étrange impression. Pas un port, pas une jetée, pas un phare ! Rien que quelques îlots, quelques rochers où les Espagnols ont établi des pénitenciers, et, partout ailleurs, une côte sauvage, avec de hautes montagnes qui ferment l’horizon et des populations farouches, dont les villages se montrent au loin, tout hérissés de cactus et d’aloès. La mer, souvent furieuse, brise sur les récifs et parfois empoche le bateau de mouiller en face de Melilla ou de Tetuan et de communiquer avec la terre. Mare sævum, littus importuosum ! C’est le Rif, le seul rivage du monde où une mort certaine attend l’audacieux qui s’y hasarde. Et la côte de l’Océan Atlantique, plus exposée encore aux vents du large, n’est guère plus hospitalière ! Et cette terre n’est pas la Papouasie ; elle est à quelques heures d’Oran, à deux jours de Marseille ; on la voit distinctement de Gibraltar et tous les bateaux qui pénètrent dans la Méditerranée en longent les bords : c’est le Maroc !

Aucun des Européens qui se sont enfoncés dans les profondeurs mystérieuses du Maghreb, aucun de ceux qui, moins audacieux ou moins curieux d’inédit, n’ont fait qu’en effleurer les rivages et qu’en visiter les villes ouvertes, n’a échappé à cette sensation, dont M. Pierre Loti a rendu, avec tant de charme et