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prendre la campagne. On ne pouvait tolérer l’existence d’un État dans l’État. On ne pouvait admettre que ces Français nombreux et ardens eussent toujours la menace à la bouche et la rébellion dans le cœur ; et l’on pouvait tolérer encore moins leur perpétuel et insolent recours à l’étranger. Un État ne peut subsister, s’il est ainsi divisé contre lui-même. Pour assurer l’unité du royaume, pour ramasser toutes les forces nationales, en vue des luttes extérieures qui se préparaient, il fallait donc ruiner ce grand corps des huguenots de France ou l’amener à composition.

Mais une double et grave difficulté apparaissait. Si le péril de l’existence d’un tel parti était évident, une guerre qui paraîtrait avoir la religion pour prétexte serait toujours odieuse. On ne force pas les consciences ; Richelieu le savait, et, sur ce point, son opinion était arrêtée. Il se rattachait à l’école de ceux que les guerres du XVIe siècle avaient instruits, à l’école de Bodin, de Montaigne, de Charron, et, pour faire court, de Henri IV. Il savait que les guerres, d’anéantissement sont sans issue, et surtout quand il s’agit de guerres intestines. Mais comment dissiper l’habile confusion que la cause protestante avait intérêt à entretenir entre la politique et la religion ? C’était là une première difficulté : il y en avait une autre.

Ce parti, composé, en somme, de Français énergiques, vigoureux, intelligens, était un précieux appoint pour la royauté, si elle se décidait à faire la guerre à la Maison d’Espagne. Toutes les relations du parti au dehors étaient avec les ennemis de cette monarchie. Par eux, on s’assurait le concours des puissances protestantes, l’Angleterre, la Hollande, les princes allemands, et même Venise et la Savoie. Si on les attaquait, au contraire, ce groupe naturel des alliances françaises, — des alliances de Henri IV, — se retournait contre nous.

De telle sorte que la deuxième partie du fameux programme : ruiner le parti protestant était en contradiction formelle, avec la troisième : abattre la Maison d’Espagne. Or, cette dernière entreprise était certainement celle à laquelle Richelieu comptait consacrer toutes les forces de sa vie et toute l’activité de son génie.

L’idée de la lutte contre la Maison d’Espagne était si répandue en France qu’un homme d’État n’avait, pour en concevoir le dessein, qu’à se laisser porter par une certaine partie de l’opinion. Mais comment se dissimuler les obstacles presque