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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/864

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jaillissante. Je m’y désaltère. Je me repose de mes fatigues quotidiennes, je prends un nouveau courage pour marcher plus ferme dans ma destinée, et la figure de ma mère, à qui la mort a fait une auréole, éclaire mon chemin.

Je me dis : Comme elle a été courageuse, je serai fidèle et courageux. Comme elle a su se sacrifier sans réserve à son devoir maternel, je nie sacrifierai pleinement à mon devoir d’apôtre.

Voilà, mon ami, ce que j’éprouve ici, et ce qu’il m’est doux de vous écrire, ne pouvant vous avoir près de moi, comme à Corbara.

Je n’ai point regretté mon absence de Paris au moment des funérailles de Victor Hugo. Ce que j’en ai lu m’a attristé.

Le grand poète méritait mieux que cette apothéose païenne. Le sanglot d’un peuple eût mieux valu que tous ces discours enflés et creux. Là où le divin ne se montre pas, ne rayonne pas, tout est mesquin et grandement petit.

Il y avait du divin dans Hugo : pourquoi ses funérailles en ont-elles manqué ?

J’espère être de retour le 15 juin. J’irai vous voir. Comment vont les vôtres, votre femme et vos filles ? La petite Marie est-elle guérie de sa fièvre ?

Je souhaite que vous soyez tous heureux et en belle santé.

Moi, je respire avec ivresse l’air de mes montagnes et il nie donne le calme, la fraîcheur, le vrai bien-être. Il a mieux éteint ma fièvre que toute la mauvaise quinine de Paris.

Adieu, mon cher ami, je vous charge de tous mes souvenirs affectueux pour votre femme et je vous embrasse de tout cœur.


Hugueville, près Les Andelys (Eure), 3 août 1885.

Mon cher ami,

Quelle vie charmante et douce que celle de curé de campagne ! Comme il fait bon, loin du tumulte des ambitions humaines, à l’ombre d’un petit clocher, sous le toit d’une église, dont rien ne trouble la paix divine !

Si Dieu m’avait destiné à cette existence de berger, je serais bien heureux, ce me semble, car la houlette est moins pesante que l’épée de l’apôtre.

Je rêve de finir ma vie appuyé suivie bâton du Pasteur, dans quelque coin perdu de mes montagnes. Vous viendriez me voir