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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/879

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Je viens d’apprendre une bien triste nouvelle, dont je suis encore tout bouleversé ! Vous vous rappelez le Père de Ségonzac, mon cher compagnon, mon fidèle ami, celui-là même que j’avais déterminé à partir pour l’Orient. Il vient de mourir. Il était, il semblait, du moins, plein de force et d’avenir. Il n’avait pas quarante-six ans. Il se disposait à revenir en Europe et en France pour Irai ter les affaires de son archevêque et de sa mission. Il a été enlevé brusquement par une fièvre, compliquée d’un épuisement du système nerveux. Le mal l’a consumé en quelques semaines, sans que les médecins aient pu l’entraver. On m’écrit de Mossoul, où il est mort, que sa fin a été pleine de foi, de courage et d’abnégation.

C’est une consolation pour nous, qui avons l’espérance de retrouver en Dieu et dans le Christ ceux que la mort nous prend.

Ce deuil m’attriste d’autant plus qu’il me semble en être la cause.

Sans mon conseil, le pauvre Père ne fût certainement point parti. C’est moi qui l’ai envoyé à la mort.

La destinée a des imprévus terribles. Je me résigne avec une foi aveugle à la volonté de Dieu qui nous mène et dont nous ne connaissons pas les secrets.

Je vous souhaite, ami, à votre chère femme et à vos enfans de mieux terminer votre voyage que vous ne l’avez commencé. Comme je voudrais revoir avec vous Florence, non seulement les chefs-d’œuvre de ses peintres, mais les souvenirs si vivans de Savonarole, du Palazzo Vecchio et de Saint-Marc ! Pensez à moi là-bas.

Je continue dans ma solitude mon travail, et j’ai la joie de le voir avancer. J’ai rédigé la valeur de dix chapitres. Si je ne suis pas entravé par quelque obstacle imprévu, j’aurai fini dans un an.


Adieu, et croyez à ma tendre amitié.

Flavigny-sur-Ozerain, 21 octobre 1881.

Mon cher ami,

J’ai été bien touché de votre dernière lettre. Vous avez compris tout ce que j’ai souffert de la mort de mon pauvre ami, et vous m’avez parlé comme un vrai Père de l’Église. Mais les coups de la mort sont affreux ; ils m’ont si cruellement frappé