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très naturelles de l’Union sur le Pacifique, l’Extrême-Orient et le canal interocéanique. Ignorant, à la veille de la guerre, jusqu’au nom des Philippines, elle s’était éveillée aux avantages que pourrait avoir la possession de cet archipel, situé à quarante heures des côtes de Chine où, quelques mois, quelques semaines avant la guerre, l’Allemagne s’était fait céder Kiao-Tchéou, la Russie Port-Arthur, l’Angleterre Wei-hai-Wei, et où les intérêts économiques, si grands et si pleins de promesses, des Etats-Unis risquaient d’être compromis en l’absence d’une action politique. Enfin les Philippines offraient à l’activité des Américains un champ vierge en grande partie et tel qu’il n’y en avait plus dans leur propre pays ; aux Antilles même, bien des richesses étaient encore insuffisamment exploitées. La tentation était forte de garder toutes ces îles si riches et si avantageusement placées.

On ne manquait même pas de raisons pour servir d’excuse honorable à ces ambitions, pour justifier à ses propres yeux, sinon aux yeux d’autrui, cette politique nouvelle, peu en harmonie avec les déclarations qui avaient précédé la guerre. L’inaptitude des populations des îles à se gouverner elles-mêmes, voilà le grand argument des partisans de l’annexion. Pour les Philippins, peuple de race jaune, dont une partie est frottée d’un vernis superficiel de civilisation européenne et de morale chrétienne, mais dont une autre portion musulmane, voire païenne, vit encore à l’état barbare, l’impossibilité de former un gouvernement libéral et ordonné paraît évidente. Quant aux habitans des Antilles, l’histoire des peuples tout à fait similaires de l’Amérique centrale et méridionale ne plaide pas beaucoup en faveur de leurs capacités politiques. Il est difficile de mettre en doute que les îles auraient grand avantage à rester soumises, au moins assez longtemps, et d’une manière plus ou moins étroite, à la tutelle éclairée des Etats-Unis. D’ailleurs, ajoutaient les champions de l’impérialisme, une direction extérieure est si nécessaire à ces pays que, si nous ne nous chargeons pas de la leur donner, d’autres le feront à notre place, profiteront de l’état d’anarchie où ils tomberont fatalement pour y intervenir et, moins scrupuleux que nous, ne voudront plus les quitter, à moins d’y être contraints par la force : nous devrons donc entreprendre une nouvelle guerre, car nous ne pouvons tolérer l’installation de puissances rivales aux Philippines, ni d’étrangers quelconques aux Antilles.