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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/901

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que les rédacteurs de l’Avenir, Lamennais, Lacordaire et Montalembert, s’évertuent à restaurer le catholicisme en le réconciliant avec l’idée de liberté, tandis que, d’autre part, les communistes et les anarchistes, que conduisent Buonarroti et Proudhon, attaquent le principe même de la propriété, entre eux vont et viennent d’innombrables et doux rêveurs, adeptes de Saint-Simon ou de Fourier, de Pierre Leroux ou de Buchez. Ces noms ont perdu pour nous beaucoup de leur prestige. Il est tentant et il est aisé de se moquer un peu de Saint-Simon et plus encore des saint-simoniens, des cérémonies de leur culte, de leurs prédications, de leur pape ou « père suprême, » et de la retraite d’Enfantin à Ménilmontant avec ses quarante jeunes hommes en pantalon blanc et justaucorps bleu. Il n’y avait pas de moins réjouissantes bizarreries dans le fouriérisme et dans ses promesses. Mais souvenons-nous que le saint-simonisme, le fouriérisme, l’humanitarisme n’ont pas séduit seulement des sots ; que Saint-Simon a compté parmi ses premiers disciples Armand Carrel, Augustin Thierry, Auguste Comte ; que Fourier avait avec lui Victor Considérant et Toussenel ; que Pierre Leroux était admiré de Jean Reynaud autant que de Mme Sand. Allons au fond des systèmes dont les excentricités ou les enfantillages nous faisaient sourire, et nous verrons qu’ils tendaient tous à un même but. De même que Bûchez édifiait toute sa doctrine sur deux paroles du Christ : « Aimez votre prochain comme vous-même ; — que le premier parmi vous soit votre serviteur, » de même Saint-Simon avait écrit à la première page de ses œuvres : « Aimez-vous les uns les autres. » Eglise saint-simonienne ou phalanstère, en somme, toute l’idéologie socialiste de ce temps-là consiste en un rêve d’association fraternelle, en une solution de la question sociale par l’amour. Sous quelque forme qu’elle se présente, elle se ramène en dernière analyse au désir de sauver, du naufrage menaçant de la foi, la morale du christianisme, à un commun effort pour faire entrer la loi du Christ dans les institutions de la démocratie et, si je puis ainsi parler, à laïciser l’Evangile ; en sorte que, de tant de folies, se dégageait une belle et bonne leçon dont Hugo a pu profiter.

Et puis, après avoir regardé autour de lui, il resterait à regarder un peu dans l’intimité de sa vie, à se rappeler ce qu’à la même époque, il a souffert dans son amour paternel, puisque, après tout, rien ne peut mieux que la souffrance enseigner à l’homme