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sauter fiévreusement d’une hypothèse à l’autre, il a beau constituer toute sa science d’affirmations dont pas une seule ne repose sur son observation personnelle : toujours, désormais, il sera invinciblement porté, en théorie, à ne concevoir la vérité que sous la forme d’un fait matériel, matériellement démontré. Dès le début, pour ainsi dire, l’étude de la médecine lui donne « un état d’esprit médical. »

Après deux ans d’études purement théoriques, il entre enfin en contact avec l’être vivant. La dissection des cadavres, à l’amphithéâtre, ne l’a jamais ému comme elle émouvait quelques-uns de ses camarades ; mais le spectacle de la douleur, tout d’abord, l’épouvante. Il entend hurler un vieux jardinier pris de tétanos ; il assiste aux cruelles péripéties d’un accouchement ; il lit, dans ses livres, la description de toutes les maladies ; et bientôt la vie des hommes lui apparaît un enfer, le royaume sinistre du mal et de la souffrance. Maintenant, il voit des malades partout. Pas de jour où, chez lui-même, il ne découvre les symptômes évidens d’une affection incurable. Mais, un matin, comme il s’est décidé à consulter son professeur sur l’une des maladies dont il se croit atteint, le professeur se moque de lui, le gronde : et le voilà guéri.

Désormais, il ne s’inquiète plus de maladies imaginaires. Il s’inquiète des maladies, trop réelles, qui défilent sous ses yeux : et, de jour en jour, il est plus profondément frappé de l’impuissance de la médecine à y remédier. Son professeur oblige une centaine d’étudians à venir écouter, tour à tour, la respiration d’un phtisique, que cette épreuve fatigue et énerve affreusement : après quoi, le professeur ajoute que l’état de ce phtisique est tout à fait sans remède. Un jour, à l’amphithéâtre, le professeur dissèque une jeune femme, morte d’une péritonite. Sa péritonite a été le résultat d’une opération : et le chirurgien qui a fait l’opération est là, avouant presque. Sans cesse, après l’examen d’un malade, le professeur dit à ses élèves : « Le diagnostic de cette maladie ne pourra être établi qu’au moment de la dissection. » Sans cesse les manuels, après avoir déclaré qu’une maladie est incurable, donnent une longue liste de remèdes « à essayer » pour cette maladie. Le jeune étudiant voit se dresser devant lui deux médecines : « l’une toute de parade, celle qui guérit et qui ressuscite ; l’autre, la vraie, impuissante, stérile, mensongère, se faisant fort de guérir des maladies qu’elle ne connaît point, ou s’ingéniant à décrire des maladies qu’elle ne peut guérir. » Il en arrive à considérer les médecins comme des augures incapables de se regarder sans rire, et qui, devant les profanes, le plus sérieusement du monde, écrivent