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sauce de bienfaits les assaisonne. Ils apprécient peu l’économie rudanière. La Vieuville se fit de terribles ennemis, en jouant à l’homme d’État.

Quand les Sillery perdirent l’équilibre, il leur donna le croc-en-jambe. Cette trahison le consacra. À défaut d’autres, on tourna les yeux vers lui ; et il trouva cela tout naturel. Le voilà ministre dirigeant, et assuré (du moins le croit-il) de la confiance du Roi. La Reine-Mère et le cardinal de Richelieu s’étaient unis à lui contre les Brûlart. Ils furent surpris quand ils le virent prendre son vol, tout seul.

Icare n’eut pas une plus prompte et plus tragique carrière La Vieuville fut un premier ministre absolu pendant six semaines. Il eut le temps de croire qu’il préparait de grandes choses ; car il avait le cœur assez résolu, et son intempérance même donnait quelque hardiesse à ses conceptions. Il était donc dans l’empyrée, quand une brusque secousse le ramena sur la terre.

Autour de lui, il entendit un grondement universel. Des pamphlets circulaient : Le Mot à l’oreille, la Voix publique au Roi. Son beau-père, Beaumarchais, est pris cruellement à partie. La France n’a jamais aimé les traitans. Toute la bande est traquée par la polémique qui devient féroce. C’est la « Chasse aux Larrons ; » il n’est plus question que de leur faire rendre gorge. Jamais la Cour n’a été aussi austère que depuis qu’on a touché aux pensions.

D’ailleurs, les affaires extérieures se compliquent encore. L’Espagne, par un coup très habile, avait confié au Pape le dépôt des forts de la Valteline. Elle discutait sur la portée de cet engagement et marchandait la remise de Chiavenne et de la Rive. Par contre, Jacques Ier, froissé de n’avoir pu conclure le mariage de son fils avec une infante d’Espagne, se rapprochait de la France et demandait, maintenant, une des filles de Henri IV, Henriette-Marie. Son ambassadeur venait d’arriver à Paris. Une autre ambassade, non moins importante, était également en instance auprès du Roi : c’était celle des Hollandais, venus pour presser le secours contre l’Espagne. Mansfeld, flairant le vent, était accouru à son tour ; il s’était avancé jusqu’à Compiègne et avait sollicité une audience du Roi ; il offrait son épée et son armée. Ainsi, de toutes parts, l’heure des grands événemens approchait. Il s’agissait de la guerre ou de la paix. Mais ce ne