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souffrir pour une idée, et nous nous égarons parmi tant de figures ! Giovanna ne connut peut-être jamais aucune des péripéties que son image eut à traverser dans l’esprit d’un poète. Mais cet échange de sonnets, cette correspondance poétique fait souvent revivre à nos yeux diverses physionomies, et les éloges, les confidences, les invectives qui s’entremêlent parmi les ruines nous transportent dans l’intimité de ce cercle choisi. D.-G. Rossetti remarque avec justesse que ces poètes se reprochent les uns aux autres leur manque de constance, Dante s’attire la réprimande de Guido Cavalcanti ; Guido Cavalcanti, celle de Dine Compagni ; Cino da Pistoja, celle de Dante.

Guido, le poète philosophe, qui méditait au milieu des tombeaux, et qui savait pourtant charmer le cœur des jeunes filles par la grâce de son salut, Guido conservait sa fougue de partisan aux abords de la cinquantaine ; Villani raconte qu’il prit part à la fameuse rixe de l’an 1300, prélude de la guerre des Blancs et des Noirs. Il fut exilé, et revint, après quelques mois, mourir parmi les siens d’une maladie dont il avait contracté le germe dans l’air malsain du lieu d’exil.

Figure complexe et mystérieuse, par l’éternel mystère humain qui se joue en elle, attrayante avec son ardeur philosophique, ses dons poétiques, son désir impuissant de vivre selon la raison, son élégance, son adresse, sa mélancolie et ses accès d’humilité, ses aspirations religieuses, momentanées peut-être., auxquelles il faut sans doute attribuer le fameux pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle ! Un voile : de tristesse enveloppe la fin de cette vie brillante : ce bannissement, ce mal mortel, contracté dans l’exil… Peut-être Guido crut-il trop à la puissance de l’esprit humain. Il semble avoir toujours eu je ne sais quelle préoccupation de la mort. En Toscane, les cyprès croissent parmi les roses.

Son grand ami Dante comprit mieux que lui sans doute qu’eu s’aventurant à l’extrémité de nos facultés humaines, nous rencontrons un vide, à moins qu’il ne plaise à Dieu de le combler.. De la cime de son génie, il lance dans l’éternité cette prière que Guido se fût trouvé, vraisemblablement, heureux de méditer : « Que la paix de son règne vienne jusqu’à nous, car nous ne pouvons aller à elle, malgré notre intelligence ! »