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monde. Les nuages peuvent cacher une étoile, mais les nuages passent, et l’étoile demeure : ils ne l’ont pas ternie.

« Il me reste des reliques précieuses, mais il me reste d’elle encore autre chose, écrivait en parlant d’une morte aimée le héros d’un roman moderne, il me reste sa présence. Il ne s’agit pas de manifestations spirites ; je ne suis pas un spirite ; je n’ai pas besoin d’une doctrine nouvelle pour croire à la survivance des âmes et à notre communication avec ceux qui sortirent de la vie mortelle… je ne vois pas de fantômes, je n’écoute et je n’entends pas les susurremens de l’invisible, je n’ai pas senti le mystérieux contact des ombres. Ce que je possède est meilleur, c’est la vraie vie… » « Les morts, dit merveilleusement le Père Gratry, les morts qui ont repris en Dieu toutes les forces et toutes les énergies de la vie, et dont l’inspiration secrète, unie à celle de Dieu, parle aux vivans dans la substance de l’âme un merveilleux langage à la fois divin et humain. » Ces contemporains ne pensent pas autrement que Dante. Béatrice était sans doute une de ces âmes harmonieuses dont l’harmonie, selon sainte Catherine de Sienne, arrive à s’imposer au monde, et « beaucoup, ajoute la sainte, sont tellement captivés par la douceur de cette harmonie qu’ils abandonnent la mort pour retourner à la vie. » Elle ne désirait que s’effacer dans la lumière de la divine gloire. Nous disions que la comédie dantesque est avant tout l’épopée intérieure de l’âme qui s’unit à Dieu : « Rends grâce, s’écria Béatrice, rends grâce au soleil des anges qui t’a élevé par sa grâce à cet astre visible. — « Jamais le cœur d’un mortel ne fut si vite disposé à la dévotion, et à se rendre à Dieu, — « Que moi, je le fus à ces paroles, et mon amour s’en alla si bien vers lui que Béatrice s’éclipsa dans l’oubli. Cela ne parut pas lui déplaire, mais elle en sourit…[1]. »


LUCIE FELIX FAURE

  1. Paradis, ch. X.