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les descendans de leurs anciens et très humbles serviteurs. La princesse, qui fut jadis renommée pour son éclatante beauté et dont la figure longue et mince et presque sémitique conserve encore sous la griffe de l’âge une impérieuse douceur, se souvient-elle de ses noces, où son père, le daïmiô Maeda, convaincu que l’Empereur n’aurait point d’enfant mâle et que sa fille serait impératrice, engloutit la moitié de sa royale fortune ?

Sauf la princesse, la marquise Itô et quelques femmes de grands dignitaires, les dames japonaises n’ont point quitté leur costume national. Et la jeune épousée, debout, devant la sombre rangée de ses belles-sœurs, les mains nues, les doigts cerclés d’or et de pierres précieuses, mais la taille emprisonnée d’un obi resplendissant, promène autour d’elle ses yeux candides et le point rose de son sourire, comme ces adorables petites fées qui sortent de l’écorce d’un bambou. Le temps n’est plus où les grand’mères japonaises elles-mêmes décolletaient leur chaste maigreur et se meurtrissaient héroïquement les côtes sous les baleines du corset, tandis que les hommes d’État, devenus les matassins de la civilisation, battaient la mesure aux balancés et aux glissés des dames de la cour. Le vent a soufflé sur les girouettes du Nippon. Aujourd’hui, figurines dépareillées et mélancoliques, éblouies par les épaules des Anglaises qui près d’elles semblent des Rubens, les Japonaises aux larges manches se faufilent discrètement derrière les habits noirs et font tapisserie le long des tentures où elles rentreraient volontiers, si le nœud de leur obi ne les y maintenait en relief.

La race blanche est restée maîtresse du parquet ciré, et les deux ou trois Européennes, qui épousèrent des Japonais, en dirigent les évolutions avec une incontestable royauté. L’excellente, opulente et maternelle Mme Sannomiya, femme du grand maître des cérémonies, dont l’expérience et le tact ont rendu tant de services à la Cour et qui fut comme la nourrice des nouvelles élégances, s’avance et passe de groupe en groupe et rassure les timidités avec une courtoisie toute japonaise, mais amplifiée par ses formes puissantes de belle Australienne.

La société indigène n’en demeure pas moins pareille à un public de hasard rassemblé devant des tréteaux. Les femmes en haori, leurs maris en frac sont plus séparés dans ces salons factices que dans la vie réelle. Étrangers d’un sexe à l’autre, ils n’ont pas même l’air de se connaître entre eux. Vous diriez qu’ils sont