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l’étape. 245

propos d’événemens qui touchaient à ses naïves convictions politiques, une fois d’abord, quand il avait onze ans à peine, et que, de Versailles, le professeur lavait conduit aux funérailles de Victor Hugo ; une autre fois, lors des scandales du Panama, quand Barentin avait été accusé d’avoir prévariqué de son mandat. Dans les deux cas, c’était l’idéologue qui avait pleuré, au lieu que ces larmes d’à présent, versées par le père de famille sur le déshonneur possible d’un de ses fils, lui sortaient de la chair et du sang, et elles remuèrent le jeune homme, lui aussi, dans sa chair et dans son sang, et il disait, alors que ce nom de Montboron ne lui permettait plus un moment d’hésitation :

— Mais il n’y a rien là dedans, mon père, qui accuse Antoine, absolument rien. Que M. La Croix ait oublié son carnet sur sa table et que le premier venu, un domestique, par exemple, ait volé ce chèque. Il l’aura rempli ensuite et, pour ne pas le toucher lui-même, il se sera fait ouvrir un compte au Crédit Départemental, sous le nom de Montboron. Tout s’explique ainsi...

— C’a été la première idée de M. Berthier, reprit Joseph Monneron. Il a même prié M. La Croix de faire au préalable une petite enquête parmi ses gens! C’est une mauvaise affaire pour lui, lu comprends, qu’une erreur pareille commise à son bureau : cinq mille francs payés sur une signature fausse. Il en était si tourmenté qu’une fois seul, il reprit le livre du mouvement des comptes pour examiner de plus près la page consacrée à son client. Tout d’un coup, une singularité le frappe. Suis-moi bien. Par deux fois, un chiffre identique de douze cents francs dabord, puis de trois mille, se trouvait porté au débit et au crédit à quelques jours de distance. Tu comprends. C’était comme si M. La Croix avait pris par deux fois une somme, puis l’avait reversée, exactement, à un centime près. Cette coïncidence de chiffres pouvait n’être qu’un hasard. En temps ordinaire, M. Berthier ne l’eût même pas remarquée. Dans la circonstance, elle l’étonné. Il a l’idée de rechercher le bénéficiaire des deux chèques payés ainsi, celui de douze cents et celui de trois mille. Juge de sa surprise. Ces deux chèques portaient le nom de M. de Montboron que M. La Croix, encore un coup, ne connaît même pas. M. Berthier poursuit son travail. Il a la curiosité de regarder d’où venaient les sommes versées au crédit, dont le chiffre l’avait étonné par une correspondance précise avec le chiffre des deux chèques; il constate qu’elles ont été versées au compte de