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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/335

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présent, confiant dans l’avenir ; il n’avait pas encore traversé les trois dernières années de la tyrannie de Domitien. Faut-il croire que cette épreuve, dont on a vu qu’il avait cruellement souffert, ait changé ses opinions politiques ? C’est ce que peut nous apprendre la Vie d’Agricola, le premier en date de ses ouvrages historiques, qui fut publié en 98, au début du règne de Trajan.

L’Agricola soulève une question assez délicate, qu’on a beaucoup discutée et résolue de diverses manières : comment Tacite fut-il amené à le composer ? Il semble bien qu’il n’en avait pas d’abord la pensée. Après la mort de Domitien et l’avènement de Nerva, il songeait à écrire l’histoire des événemens qui venaient de se passer. Pour secouer l’apathie d’un grand nombre de Romains et les empêcher d’oublier, il jugeait utile de leur remettre sous les yeux les maux qu’ils avaient supportés et la manière aussi heureuse qu’inattendue dont ils venaient d’en être délivrés. D’où vient que, sans renoncer définitivement à son projet, il se soit interrompu pour s’occuper d’un autre ouvrage ?

Le ton oratoire qui règne dans l’Agricola a fait supposer à quelques critiques que c’était une sorte de laudatio funebris[1], et que Tacite l’a composé pour rendre à son beau-père un honneur dont il aurait été privé quand il mourut. Cela se faisait à ce moment, dans les salles de lectures publiques. On y prononçait l’éloge des victimes de Domitien, et nous avons vu que Pline regardait comme un devoir d’y assister. Mais il faut remarquer qu’Agricola ne se trouvait pas tout à fait dans la situation des gens dont Pline allait entendre l’oraison funèbre. On ne pouvait pas dire que ce fût une des victimes de Domitien, puisqu’il est mort dans son lit, et probablement de mort naturelle. Tout le monde put assister à ses funérailles, et nous savons par Tacite même que rien ne manqua aux honneurs qui lui furent rendus. Domitien, qui ne le redoutait plus depuis qu’il était mort, n’aurait pas commis la faute de lui faire un outrage inutile en empêchant qu’on ne fit son éloge à la tribune, comme c’était l’usage. Seulement il est possible que cet éloge, dans lequel l’orateur se sentait gêné par la jalousie du maître, n’ait pas tout à fait contenté Tacite et qu’il ait tenu à le refaire, pour donner aux exploits d’Agricola tout l’éclat, qu’ils méritaient d’avoir.

  1. Pour savoir en quoi l’Agricola touche à la laudatio funebris et en quoi il s’en écarte, on peut voir l’ouvrage que vient de publier M. Friedrich Léo, professeur à l’Université de Goettingue, et qui est intitulé Die Griechisch-Römische Biographie.