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dit-il, dans toutes les cités, le pouvoir appartient au peuple, aux grands ou à un seul homme. » Puis, à ces trois formes il en ajoute une quatrième, « celle qui se compose du mélange assorti des autres. » Par cette dernière, il veut entendre l’ancienne République, comme elle était à Rome au temps de sa prospérité. C’est ainsi, du moins, qu’elle apparut à Polybe, quand il la visita vers la fin des guerres puniques. Selon lui, tout y était si pondéré, si parfaitement agencé, que personne, même parmi les Romains, ne pouvait assurer, sans crainte de se tromper, si le gouvernement y était aristocratique, démocratique ou monarchique. « A ne considérer, dit-il, que le pouvoir des consuls, on croirait être dans une monarchie ; il semblerait que c’est une aristocratie, si l’on ne tenait compte que de l’autorité dont jouit le sénat, et celui qui ne verrait que la part qu’a le peuple dans les affaires serait tenté d’abord de juger que c’est un état démocratique. » Et pourtant ces élémens divers ont fini par s’accommoder les uns aux autres et vivent ensemble dans un équilibre parfait. Cette définition de la constitution romaine avait paru très exacte à ceux qui la voyaient fonctionner, et Cicéron la reproduit, dans sa République, au moment même où allait naître un régime nouveau. Il est à remarquer que cette forme de gouvernement n’inspire pas à Tacite la même admiration qu’à Cicéron et à Polybe. Il nous dit simplement : « qu’elle est plus facile à louer qu’à établir, et que, fût-elle établie, elle ne saurait être durable. » Cette phrase courte et sèche achève de nous prouver que la perte de l’ancienne République n’a pas laissé Tacite inconsolable, et qu’il ne croyait pas qu’il fût possible d’y revenir.

Restent les trois autres, qu’il se contente d’énumérer, sans nous dire celle qu’il préfère et ce qu’il pense de chacune d’elles. Il ne nous dit pas non plus, du moins à ce moment, dans laquelle de ces trois catégories il place le principat, c’est-à-dire le gouvernement sous lequel on vivait à cette époque. Cependant ceux qui avaient affaire tous les jours à ce gouvernement étaient fort intéressés à connaître ce qu’il était en réalité ; mais précisément, il ne tenait pas à le laisser dire ; il lui déplaisait qu’on cherchât à le pénétrer et à le définir, il cachait, autant qu’il pouvait le faire, son principe et sa nature. C’était là un de ces arcana imperii, dont parle Tacite, qu’il semblait dangereux de laisser divulguer. Pour savoir les motifs de cette sorte d’obscurité dans laquelle l’empire aimait à se dérober, quelques explications