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les regardant, et comme les consuls lui demandaient gaîment quelle était la cause de sa bonne humeur : « Je songe, leur répondit-il, que je n’ai qu’un geste à faire pour qu’on vous étrangle tous les deux. » Et assurément, s’il l’avait voulu, personne ne l’aurait empêché. C’est bien là, je crois, ce qu’on appelle le pouvoir absolu.

Tacite ne s’y est pas trompé. Ami du sénat, comme il l’était, fier d’y tenir une grande place, il n’avait aucune envie de dissimuler l’étendue de son autorité. Il est très heureux de nous apprendre qu’au commencement du règne de Tibère toutes les grandes affaires se traitaient Devant lui ; qu’il était appelé à faire comparaître les députés des -villes et des provinces, à écouter leurs griefs, à juger leurs différends. On sent qu’il triomphe, quand il raconte quelqu’une de ces grandes scènes. Quel beau jour ! dit-il avec bonheur. Mais, même alors, il ne se fait pas d’illusion. Il sait bien qu’on ce qu’on laisse au sénat n’est qu’une image de son ancienne autorité. « Le prince, dit-il, lui en abandonnait l’apparence ; mais il en gardait la réalité. » Le régime sous lequel on vit n’est donc pas, comme on le prétend, un gouvernement partagé, il ne diffère en rien d’une monarchie véritable ; c’est un seul homme qui occupe le pouvoir : haud alia re romana quam si unus imperitet.

Nous voilà donc ramenés aux trois formes de gouvernement que Tacite a d’abord distinguées : la démocratie, l’aristocratie, la monarchie. Il n’y en a pas d’autres, puisque le principat rentre dans la dernière, et que l’ancienne république en a été éliminée comme difficile à établir et encore plus difficile à conserver. C’est donc entre ces trois formes qu’il faut choisir. Tacite n’a pas éprouvé le besoin de nous dire formellement pour laquelle il se prononce. Il a sans doute pensé que ses ouvrages le faisaient assez savoir.

Nous pouvons d’abord sans hésiter exclure la démocratie. À la manière dont il parle partout du peuple, on voit qu’il ne lui semblait guère mériter d’avoir quelque part dans la conduite des affaires publiques. Il n’y avait du reste aucune prétention, et c’était son unique souci, nous dit Tacite, qu’on lui donnât le blé à bon compte ou pour rien. Cependant, si bas qu’il fût tombé, il causait encore quelque frayeur aux princes qui évitaient soigneusement d’encourir sa mauvaise humeur. Au premier signe de colère qu’il donna quand il apprit qu’on exilait