Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/364

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la période de la possession définitive. Ils ont acquis la certitude de son indestructibilité. Trop d’occasions leur sont quotidiennement offertes de s’en prodiguer verbalement les témoignages pour qu’ils soient encore à en protester quand ils s’écrivent. Leurs lettres ne sont plus que le récit des événemens dont une ancienne et douce habitude les dispose à s’entretenir.

Tel est plus particulièrement le caractère de leur correspondance, du 31 août au 5 septembre de l’année 1843, durant le voyage que fit en France la reine Victoria : Ce voyage est un des grands événemens du règne de Louis-Philippe. Il marque l’apogée du Cabinet Guizot. Il représente le prix des efforts faits par ce ministre pour effacer le souvenir des dissentimens qui s’étaient élevés, en 1840, entre l’Angleterre et la France et substituer aux défiances longtemps entretenues à dessein par le cabinet Palmerston ce régime de « l’entente cordiale » auquel on ne peut reprocher que de s’être établi au prix de concessions parfois un peu humiliantes pour le nationalisme français.

À cette époque, le gouvernement de Louis-Philippe est encore l’objet de la malveillance de l’Europe. Les souverains légitimes qui règnent à Saint-Pétersbourg, à Vienne, à Berlin persistent à considérer le roi de 1830 comme un usurpateur, comme un intrus. Sous des formes qui varient suivant les circonstances, ils le tiennent en suspicion. Le tsar Nicolas en donne la preuve à toute heure. Le roi de Prusse, allant à Londres, évite de passer par Paris. La France ne peut véritablement compter que sur l’Angleterre, et encore ne sait-elle pas bien dans quelle mesure elle y peut compter. C’est en ces circonstances que la jeune souveraine qui règne à Londres depuis quatre ans se décide tout d’un coup à venir visiter à Eu la famille royale. Dès le mois de juin, elle fait part à ses ministres, lord Aberdeen et sir Robert Peel, de son projet, qu’ils approuvent. Elle leur demande de le tenir secret jusqu’à la fin de la session parlementaire, afin de conjurer les manœuvres qui pourraient l’entraver. Le secret est bien gardé, et c’est seulement dans la seconde quinzaine d’août que le roi Louis-Philippe, installé à Eu, est averti du dessein de la reine. La nouvelle le comble de joie. Cette visite va faire cesser l’interdit dont il est l’objet de la part de l’Europe, et, sans espérer encore que l’exemple de la souveraine anglaise aura des imitateurs, il est convaincu que l’événement va lui donner plus de force, de crédit et d’influence.