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Guizot laisse là sa lettre. Quelques heures plus tard, au moment de la fermer, il y ajoute ce qui suit :

« Pour le coup, ceci pour vous seule. Décidément la reine des Belges insiste pour qu’on ne presse pas la Reine de venir à Paris. Elle en aurait envie, mais elle ne peut guère. Elle a promis de ne pas s’éloigner des côtes. On se croirait, obligé de nommer une espèce de conseil de Régence, si elle s’enfonçait bien loin. L’insistance l’embarrasserait. Elle craindrait que le refus ne fût une maussaderie. Voilà le dernier état de la question. »

Empruntons encore à cette lettre-journal quelques détails, et d’abord cette description de l’appartement qu’on a préparé pour les augustes visiteurs, description qui fera sourire, tant s’y manifeste la simplicité de goûts de la famille royale et le caractère un peu bourgeois de l’installation.

« L’appartement de la reine est bien arrangé : un bon salon, avec un meuble de beau Beauvais, fond rose et des fleurs, d’un travail admirable. Un bon cabinet pour le prince Albert, en velours cramoisi. La chambre à coucher, — j’oublie la couleur, — grande et très pleine de meubles. Un lit immense, jaune, je me souviens, en face de la cheminée. Au fond du lit, un grand portrait de la grande Mademoiselle à plus de cinquante ans, grosse, forte, le nez en l’air, quoique long, l’air hautain et étourdi, bien comme elle était. Des portraits dans toutes les pièces, dans tous les coins de toutes les pièces. En face du lit de la reine, à droite de la cheminée, le père de l’empereur Napoléon et M. de Lafayette. À gauche, trois princes de la maison de Bourbon, anciens. Je ne sais lesquels. Après la chambre de la reine, son cabinet, pas grand, fort joli. Beaucoup de petits conforts inspectés par le Roi avec un soin incroyable. Il était bien en colère hier parce que les serrures n’avaient pas bonne mine. Elles auront bonne mine.

« J’ai vu hier Mme la Duchesse d’Orléans, bien triste. Je la trouve un peu engraissée, mais fatiguée et le teint échauffé. Bon et beau naturel, soyez-en sûre. Elle viendra un peu le soir dans le salon de la reine. Ce sera sa rentrée dans le monde. Le Comte de Paris est à merveille gras, gai, l’œil ferme et tranquille. Le Duc de Chartres bien grêle et bien vif. Je l’ai vu hier au Tréport. Le Comte d’Eu sur les bras de sa nourrice, un superbe enfant.

« Le camp de Plelan va très bien. Parmi les légitimistes bretons, l’ébranlement est général, et la masse de la population