Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur regard, pratiques que suivaient du reste chez eux les femmes les moins recommandables s’il faut en croire les Prophètes. Il est visible que l’ars ornatrix, non seulement permis, mais encouragé par la foi, car innombrables sont les textes laudatifs concernant les divers parfums, que l’ars ornatrix, disons-nous, dérivait quelquefois vers des pratiques moins innocentes. À en croire M. Paschkis, une des filles de Job se serait appelée Keren Hapuch, ce qui signifie, paraît-il, « petit pot de fard, » surnom à coup sûr étrange pour la fille d’un patriarche. L’auteur viennois va plus loin ; il est persuadé que, pour affronter le regard d’Assuérus son royal époux, Esther non seulement se parfuma, comme l’indique formellement la Bible, mais se peignit la face, et il donne pour raison qu’a cette époque, les Juifs, sans cesse en contact avec les peuples voisins, en avaient adopté certaines habitudes. Comme, en Orient, elles se modifient bien peu, ce n’est point se lancer dans une digression que de passer des anciens Juifs ou Perses aux Persans modernes et aux Syriens actuels.

Lisons le récit de Chardin le célèbre voyageur du XVIIe siècle. Allant de Paris à Ispahan, il passe d’abord par la Mingrélie et remarque l’excès de fard dont les femmes du pays,— principalement les moins belles et les plus âgées, — couvrent leur visage, observant en outre que celles qui sont jeunes et jolies peignent au moins leurs sourcils. En Perse, la mode est aux sourcils noirs et épais : aussi les Persanes qui, à leur gré, ne se jugent pas assez favorisées sous ce rapport, les teignent et les frottent de noir sans préjudice d’une mouche noire au bas du front et d’une autre petite marque violette à la base du menton, celle-ci indélébile. Elles s’enduisent aussi mains et pieds de cette pommade orangée qu’on nomme hannah, qui est merveilleuse pour garantir la peau contre le hâle. Chardin ajoute que cette application leur épargne l’usage des gants qu’elles ne connaissent pas. Au fond, répétons-le, l’emploi des fards découle presque toujours de pratiques hygiéniques rationnelles.

On dira que les renseignemens de Chardin remontent à une époque déjà reculée. Mais ceux que nous fournit la princesse de Belgiojoso coïncident avec la période ultime de la civilisation orientale encore préservée de toute infiltration européenne, puisqu’ils remontent à une cinquantaine d’années environ. L’usage ou, pour mieux dire, l’abus du fard règne universellement dans