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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/440

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pas d’ajouter que le sexe faible du peuple le plus civilisé de l’univers adoptait par le fait les habitudes des sauvages les moins policés, lesquels se barbouillaient de noir, d’ocre, ou se tatouaient le corps de façon à se rendre méconnaissables. Donc, après avoir parlé brièvement du délicat maquillage des petites maîtresses au XVIII° siècle, nous sommes amenés à dire quelques mots du tatouage qui se pratique toujours en Océanie, qui orne même encore les membres de plus d’un de nos soldats ou marins, et qui, s’il faut en croire des indiscrétions de journaux, fleurirait même, comme mode plus que bizarre, dans certaines classes de la haute société anglaise.

Suivant M. Mayrac, qui a composé tout un ouvrage sur l’art de graver sur le corps des marques indélébiles, les tatoueurs de profession de l’Égypte actuelle, les Ghagariât, se rattacheraient par une chaîne ininterrompue aux opérateurs similaires de l’Égypte ancienne. Si ces contemporains des Pyramides se zébraient la peau de lignes blanches et bleues, ce n’était pas sans raison : tantôt ils réalisaient ainsi une véritable opération hygiénique et prophylactique, tantôt ils accomplissaient un rite religieux. Une légende contée par Hérodote explique ce fait. Pâris, ayant enlevé Hélène à Ménélas, fuyant les messagers lancés à sa suite par l’infortuné mari et cherchant à regagner Troie, fut jeté aux bouches du Nil par la tempête. Il paraît que les esclaves du beau berger n’aimaient point leur maître ; s’échappant immédiatement, ils se réfugièrent dans le temple d’Hercule, qui constituait un asile sacré, et firent imprimer sur leurs corps des stigmates mystérieux qui les rendaient libres et inviolables. Le tatouage jouait donc le rôle de l’ancienne marque, mais le rôle renversé.

Du temps de Cook et de Bougainville, le tatouage se pratiquait dans toute l’Océanie. Les femmes, à la Nouvelle-Zélande, ne se tatouaient que les lèvres, rarement d’autres parties du visage et du corps ; celles des îles Marquises, suivant Cook, se tatouaient peu également. S’il faut en croire un auteur beaucoup plus récent, M. Berchon, qui, en 1860, a publié un travail sur le tatouage dans ce dernier archipel, les tatouages de femme, tout en étant inférieurs, consistent en ornemens très jolis, décorant les pieds, les chevilles, les mains, oreilles, épaules, lèvres, tandis que les traits gravés sur les hommes envahissent tout le corps. Cette différence résulte de la supériorité sociale des