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et se compliquait sans cesse de nouveaux dessins à mesure que le sujet avançait en âge. Quoi qu’il en soit, les anciens navigateurs et, plus tard, Berchon s’accordent tous pour affirmer que les dessins étaient charmans, qu’ils figuraient des objets très variés, astres, arbres, fleurs[1], animaux, ou des tracés géométriques de fantaisie, qu’ils ne laissaient rien à désirer au point de vue de la régularité et du goût et qu’on rencontrait chez ces misérables insulaires de véritables artistes spécialistes. Pour mieux réussir, les plus soigneux d’entre eux traçaient au préalable une esquisse sur la peau, avec du charbon.

C’est ce que font encore aujourd’hui les opérateurs qui travaillent sur l’épiderme des ouvriers, des matelots, des troupiers d’Afrique ; ils exécutent d’abord la maquette du. croquis au moyen d’une plume on d’un pinceau. La matière colorante - presque toujours de l’encre de Chine, laquelle n’est, on le sait, que du noir de fumée aggloméré - est délayée dans un godet. Assemblant de deux à quatre aiguilles à coudre, le dessinateur trempe les pointes dans l’encre, puis les enfonce dans la peau en suivant les contours du tracé dans l’épaisseur du derme. Les trous successifs, très rapprochés les uns des autres, finissent par déterminer une série de piqûres presque confluantes. Chaque fois que le paquet d’aiguilles est retiré, on l’immerge de nouveau dans la peinture. On enfonce plus ou moins les aiguilles, mais, suivant une règle absolue, elles doivent toujours être disposées en travers des lignes à suivre. Immédiatement après l’injection on lave la plaie avec du rhum ou de l’eau-de-vie dont l’artiste graveur prélève une bonne part pour lui ; souvent on emploie plus simplement de l’eau ou même un liquide qu’il est superflu de désigner.

Selon l’éminent docteur Tardieu, qui s’est occupé de cette question, on emploie, concurremment avec l’encre de Chine, du vermillon, de la poudre écrasée, du bleu de blanchisseuse, de l’encre ordinaire noire ou bleue. Quelquefois la salive supplée à l’eau pour le délayage. Il est à remarquer, — et quiconque a vu le bras tatoué d’un ouvrier l’aura observé, — que l’encre de Chine, insinuée sous l’épiderme, ne donne pas une teinte noire franche, mais bien plutôt bleu foncé, qui pâlit même à la longue par un effet de diffusion aisé à comprendre.

  1. Les indigènes de la Floride portaient des ornemens de ce genre ; d’où le nom de cette presqu’île américaine.