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autre chose ; il proclame tout haut que la jeune personne qui se maquille est obligée, pour ne pas provoquer un brusque changement, de continuer devenue jeune femme et de persister de plus belle lorsque la vieillesse se fait pressentir, que plus la malheureuse avance en âge, plus sa beauté artificielle devient difficile à entretenir, d’autant qu’aux rides, provenant du cours des années ou des soucis de la vie, s’ajoute la fatigue que procure à la peau cette couverture continuelle entravant l’élimination indispensable. « D’ailleurs, cela se voit toujours, quelque soin qu’on y mette, » ajoutent, non sans motif les femmes raisonnables.

Paradoxe curieux, si l’on veut, mais vérité stricte cependant l’usage continuel du fard marche de front avec une certaine saleté. Les femmes levantines que fréquenta la princesse de Belgiojoso[1], et les dames espagnoles que vit Mme d’Aulnoy avaient horreur de l’eau. Même en France, sous Louis XV, les pots à eau en argent finement ciselé, en porcelaine ou faïence artistique, ne contenaient pas, tout charmans qu’ils étaient, le quart de l’eau indispensable pour ses ablutions matinales à la Parisienne de nos jours. Un officier du premier Empire, Elzéar Blaze, raconte que dans le cours d’une campagne en Pologne il reçut l’hospitalité chez un riche châtelain. La face de la jeune fille de la maison, demoiselle fort élégante, était ornée de petites taches noires qui ne produisaient pas vilain effet. Pourtant au premier aspect ces taches différaient des grains de beauté naturels et, toujours posées au même point de la face, ce n’étaient pas des mouches. En regardant d’un peu plus près, Blaze constata leur nature : des pépins de poire collés sur la peau. Il finit par demander : Comment faites-vous, après les avoir ôtés le soir, pour les replacer, le lendemain, exactement au même endroit. — Mais je ne les ôte point ! — Le commentaire, emprunté aux réflexions de Blaze, serait peu flatteur pour la propreté de la face de la noble Polonaise.

À la suite de cette sévère condamnation et de ces réflexions rétrospectives, on sera surpris de ne pas nous entendre prononcer contre les fards une sentence d’anathème absolu. Si l’usage continu ou même trop fréquent, de préparations grasses ou liquides est à proscrire, l’emploi à rares occasions d’un

  1. Voyez dans la Revue des 1er février et 1er mars 1855, la Vie intime et la Vie nomade en Orient.