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amateur et un fantaisiste plutôt qu’un artiste, un original plutôt qu’un écrivain original, un écriveur plutôt qu’un écrivain. Il n’avait pas appris de La Bruyère que c’est un métier de faire un livre et qu’il faut plus que de l’esprit pour être auteur. Il manque trop souvent de mesure et de justesse. Mais on en voudrait aux historiens de la littérature française qui ne citeraient pas son nom. » Quelques personnes trouveront l’éloge un peu mince : M. Chuquet sera frappé d’excommunication par les pontifes du stendhalisme et ne s’en portera pas plus mal.

L’idée la plus originale de Beyle, et qui est au centre même du beylisme, c’est le culte qu’il professe pour l’énergie. Mais d’ailleurs en quel sens prend-il ce mot ? Cela n’est pas très clair, et l’est même si peu qu’on a pu soutenir que Beyle entend par l’énergie ce qui en est le contraire. Ce n’est pas faute que Beyle soit revenu souvent sur le sujet : il est homme à ressasser cent fois pour une l’idée dont il est entiché. Seulement il a le secret de dire sous une apparence de clarté et de précision des choses obscures. Afin de définir l’idée, et d’en mesurer la signification et la portée, demandons-nous comment elle a pu se présenter à Beyle et germer dans son cerveau, et comment elle s’accorde avec ce que nous savons de son esprit et de son humeur.

S’il faut en croire une des assertions qui reviennent le plus ordinairement sous la plume de Beyle, le trait caractéristique du Français est la vanité : cela est vrai du moins pour le Français que fut Henri Beyle. Ce trait est le premier en date qui apparaisse en lui, et par lequel se manifeste d’abord sa nature. De son propre aveu, il avait, dès son enfance, un orgueil intolérable. Cela fit qu’il ne put supporter aucun joug, aucune contrainte. Il est rebelle à l’autorité et réfractaire à l’éducation. « Nos parens et nos maîtres sont nos ennemis naturels, quand nous entrons dans le monde, » avait-il coutume de dire. Il ne se sentait du reste pas en sympathie avec les enfans de son âge. Beyle est de ceux qui n’éprouvent ni n’éveillent la sympathie : ils se sentent différens des autres, ou, comme ils disent, supérieurs ils font le vide autour d’eux. Les vaniteux sont des timides ; c’est le cas de Beyle, tout cynique qu’il ait pu être. Il est atteint de timidité au sens oh la timidité est une maladie de l’esprit, une manie qui relève de l’observation médicale. Comme le héros de son premier roman, Octave de Malivert, il reste toute sa vie « fidèle au mystère qui marquait toutes ses actions. » il est sinon coupable de fausseté, du moins coutumier de procédés tortueux. Il se cache, se travestit, s’affuble de titres imaginaires et de noms d’emprunt, se donnant tantôt pour un