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en effet, qu'après la mort de sa femme, le vieux peintre a eu, d'une maîtresse, un fils naturel, dont l'éducation l'a constamment préoccupé jusqu'à ses derniers jours. Et je n'ignore pas tout ce que de pareilles suppositions ont toujours d'arbitraire : mais, en l'absence de toute indication plus positive, je me plais à voir plus qu'une simple coïncidence fortuite entre ce nouvel amour du vieux Mantegna et le brusque et profond rajeunissement de son œuvre. Le fait est que, comparée aux précédentes, sa dernière manière a quelque chose de « féminin » qui, de la part d'un tel homme, s'expliquerait le plus naturellement du monde par une hypothèse du genre de celle-là : sans compter que, dans la plupart de ces dernières rouvres, les figures de la Vierge et de l'Enfant revêtent un type spécial, où se mélangent, à un degré extraordinaire, l'observation la plus assidue et un sentiment poétique d'une intimité délicieuse. Ce sont là, évidemment, des portraits, et peints d'après des modèles que le vieux maître devait considérer avec des yeux doucement, tendrement prévenus.

Mais au reste, quels que soient les sentimens intimes qui ont pu guider Mantegna dans la dernière évolution de son art, le fait même de cette évolution est d'une évidence absolue : et je crois qu'on arriverait sans trop de peine, en s'appuyant sur lui, à répartir aux diverses époques de la vie du maître celles de ses ouvres dont la date est jusqu'à présent restée incertaine. Il y a, par exemple, une série de petites Vierges que Mantegna doit avoir peintes directement d'après nature, et comme des ébauches pour des tableaux plus grands. La plus intéressante de ces Vierges se trouve à Milan, dans la galerie Poldi Pezzoli. Et les critiques ne peuvent se mettre d'accord sur la période de la vie de Mantegna où se rattachent ces précieux morceaux. Les uns, et parmi eux M. Kristeller, y voient des ouvres de jeunesse, tandis que d'autres les classent en compagnie de la Vierge de la Victoire et de la Sainte Famille de Dresde. Les uns et les autres se fondent, pour ce classement, sur des détails de technique, le dessin des oreilles et des doigts, la couleur des chairs, etc. Mais leur désaccord suffit à prouver la faiblesse des conclusions qu'on peut tirer de ces signes extérieurs. Le « métier » d'un peintre n'est point chose si définie qu'on puisse déduire d'elle seule la date d'un ouvrage, étant donné surtout un homme tel que Mantegna à qui l'on dirait que tous les procédés possibles étaient, de naissance, également familiers. Et, au contraire, on a de grandes chances de ne pas se tromper en jugeant de la date d'une œuvre d'art d'après son caractère général, son style, et l'esprit qui l'anime. Un