Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est fait pour la rassurer. Qui est-ce qui ne lui fait pas plus ou moins la cour, et ne se dispute pas ses bonnes grâces? Dans ce flirt universel, l'empereur Guillaume n'a pas voulu rester le dernier; il a même voulu être le premier; et il a procédé sans beaucoup de raffinemens, mais avec une franchise et une résolution qui, en somme, étaient faites pour réussir.

Le voyage du prince Henri a été précédé d'une campagne de presse dont il faut dire un mot : elle montre, en effet, que l'empressement germanique n'a pas été sans provoquer ailleurs quelque jalousie. L'Angleterre s'en est émue. Elle a fait déjà bien des sacrifices pour conserver les faveurs de l'Amérique, ne fût-ce que des sacrifiées d'amour-propre, et tout le monde a le sentiment qu'elle en fera encore bien d'autres, si c'est nécessaire- Ce pays, qui s'entend si bien à rudoyer les autres, se laisse rudoyer lui-même par l'Amérique, sans paraître même s'en apercevoir. Ses complaisances sont inlassables. On ne voit pas, jusqu'à présent, qu'il en ait tiré grand profit, mais il faut croire qu'une autre conduite aurait eu pour lui de sérieux inconvéniens, car ce n'est pas par simple bonté d'âme, ni par faiblesse de caractère, qu'elle se comporte ainsi.

Pour en venir au fait, quelques semaines avant le voyage du prince Henri, les journaux anglais, et le Times en tête, ont jugé à propos de ressusciter la légende d'un grand et ténébreux complot que les puissances européennes auraient tramé contre les États-Unis à la veille de leur guerre contre l'Espagne. Le croirait-on? On voulait les empêcher de se battre : n'était-ce pas à leur égard le comble de la malveillance? Le correspondant du Times en Amérique a envoyé à son journal tous les détails de l'affaire : grâce à lui, on a finalement connu un incident diplomatique, qui était resté, jusqu'à ces derniers jours, le secret des chancelleries. Mais, en vérité, ce secret ne valait pas tout le bruit qu'on en a fait. Il paraît donc que, le 10 avril 1898, les ambassadeurs des puissances à Washington ont appris que leur collègue d'Espagne avait remis au secrétaire d'État aux Affaires étrangères une note dans laquelle le cabinet de Madrid cédait sur tous les points, moins un. Ils se sont réunis, et se sont demandé s'il n'y avait pas lieu de télégraphier à leurs gouvernemens respectifs pour leur suggérer une démarche à faire auprès du gouvernement américain, en vue de le détourner d'une guerre désormais sans objet. Heureusement, l'Angleterre veillait; elle a su dénoncer et déjouer le complot, et c'est à son amitié active et dévouée que les États-Unis ont dû de pouvoir se couvrir de gloire. Pendant plusieurs jours, le