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futur maître du monde, se montra là sous un jour peu favorable. C’était un carnassier d’une espèce supérieure, mieux outillé, plus sûr de lui, mais il n’apportait avec lui aucun principe fécond. Il fit pis encore : par la traite des noirs, il rétablit l’esclavage, au moment même où le servage tendait à disparaître de l’Europe. Débarrassé des freins héréditaires, il semblait n’avoir changé de climat que pour retourner à la barbarie primitive.

La nature se vengea. Par l’attrait du sexe, elle mêla le sang de ce maître orgueilleux à celui des vaincus et des esclaves. Elle fit ainsi le mélange des races à sa manière, qui n’était pas la meilleure. Les métis héritèrent des vices des blancs plus souvent que de leurs vertus. Les anciennes colonies espagnoles souffrent encore de cette tache originelle. Ayant commencé par détruire les civilisations qui existaient au Mexique et au Pérou, elles ont réduit les indigènes à une condition misérable, puis elles ont subi la lente infiltration du sang indien et du sang noir, sans cesser de mépriser les Indiens et les noirs. Elles perdirent ainsi les deux siècles d’avance qu’elles avaient sur les colonies anglaises.


III

Au début du XVIIe siècle, avec les premiers établissemens des Hollandais, des Français et des Anglais, les colonies entrent dans l’âge commercial. Pendant deux cents ans, ce sont surtout leurs avantages commerciaux qui frappent l’attention : « Les Espagnols, dit Montesquieu, regardèrent d’abord les terres découvertes comme des objets de conquête : des peuples plus raffinés qu’eux trouvèrent qu’elles étaient des objets de commerce et c’est là-dessus qu’ils dirigèrent leurs vues. »

Le commerce en lui-même n’est pas créateur et des comptoirs ne sont pas une colonie. « Les colons ne se mêlent pas à la population indigène, n’ont sur elle aucune action, ne résident que juste le temps de s’enrichir et retournent dans leur patrie[1]. » Mais on sentit le besoin de faire des établissemens fixes et de ne point commencer par détruire ce qu’on voulait exploiter : ce fut là tout le progrès. L’avidité est la même que celle des premiers conquérans ; les procédés sont un peu meilleurs. Ce premier effort de réflexion a de grandes conséquences : du moment que

  1. J. Chailley-Bert, Nouveau Dictionnaire d’économie politique, article Colonies.