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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/556

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singulièrement favorable à la France. Absorbée par ses querelles ou par celles de l’Europe, saignée à blanc, pendant deux siècles, sur tous les champs de bataille, préoccupée d’idées abstraites, elle n’apportait, dans ses entreprises coloniales, ni un dessein suivi, ni la force du nombre : elle a donc été battue par ses rivaux, quand il s’agissait uniquement de peupler les espaces libres. Mais elle reprend son avantage dans la conquête morale des peuples. Que la colonisation devienne idée ; que, non contente de procurer la richesse, elle répande la civilisation ; que le problème économique se colore d’un reflet d’idéal ; qu’on oppose à la brutalité du nombre les forces impondérables de la justice et de la charité : rien n’empêche alors la France de passer au premier rang. Ses antiques traditions l’y poussent, et ses conquêtes récentes le lui permettent. Le champ est préparé : il n’attend plus que la semence.

Lorsque, dans un siècle, on dressera le bilan de cette partie gigantesque dont le globe est l’enjeu, quelle sera la mesure de la puissance ? sera-ce uniquement l’étendue des territoires annexés, ou le nombre des têtes recensées ? Il faudra tenir compte d’un troisième élément : le degré d’attachement des populations soumises. Ce jour-là, notre patrie ne fera pas mauvaise figure. Elle aura dépassé le vœu de Prévost-Paradol. Car il demandait seulement pour elle « une place matérielle et une force physique dignes de son légitime orgueil ; » cette place, elle l’aura conquise ; mais elle y ajoutera mieux encore : une influence morale digne de son génie civilisateur.


RENE MILLET.