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homme très bien intentionné, m’assure qu’ils ont à Muyden plus de trente mille hommes. Un de nos tambours en revint hier, à qui un paysan donna un billet, qui contenait qu’ils en veulent à Campen et que Naerden était une trop grande entreprise, J’ai pourvu à l’un et à l’autre, comme vous savez, et je soupçonne que ce billet fut donné par les ennemis eux-mêmes. »

Le soir du jour où il traçait ces lignes, le général français eut nouvelle que le prince d’Orange, ayant quitté son camp de Bodegrave, avait marché, au nord d’Utrecht, dans la direction de Vesep, et s’était établi entre ce bourg et la ville de Naerden, dans une position forte, « derrière un grand canal. » Il avait avec lui une quinzaine de mille hommes, l’élite des vieilles troupes hollandaises, et menaçait de là plusieurs villes importantes, Bommel, Naerden, Woerden et le fort de Crèvecœur, sans que l’on pût encore pénétrer son dessein. L’idée première de Luxembourg fut qu’il en voulait à Naerden, la plus grosse de ces places, située au bord du Zuyderzée, à proximité d’Amsterdam, tombée aux mains du Roi dès l’ouverture de la campagne, et dont la garnison française incommodait fort nos ennemis. Déjà, huit jours plutôt, Guillaume avait fait mine d’attaquer la ville de Naerden « par terre et par mer en même temps[1] ; » mais, — le vent ayant fait défaut, et Luxembourg, mis en éveil, ayant expédié dans la ville quelques bataillons de renfort avec du canon et des vivres, — les « troupes de terre » n’osèrent point se risquer à pousser plus loin l’aventure. L’on était donc fondé à croire que l’opiniâtre stathouder, avec des ressources nouvelles, se disposait une seconde fois à tenter la même entreprise.

Au camp français, le parti fut vite pris. Dans la nuit même, à deux heures du matin, avec quatre mille hommes de pied et quelques escadrons, Luxembourg était hors d’Utrecht, et s’avançait avec rapidité dans la direction de l’ennemi. A l’aube du jour, il était à S’Graveland, gros village auquel aboutit une digue étroite et longue, seul chemin qui permît d’accéder à la plaine. En occupant ce défilé, il barrait la route de Naerden et contraignait Guillaume à forcer le passage. Le mouvement fut si brusque et si vivement exécuté, qu’il surprit l’armée hollandaise. Leurs avant-postes reculèrent en désordre ; nos grenadiers dans leur élan, franchirent les premières palissades et tirent

  1. Relation de M. de Saveuse du 18 octobre 1672. — Lettre de Luxembourg du 4 octobre. — Arch. de Dijon, F. Thiard.