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place, dit un témoin du temps, « était de grande conséquence aux deux partis ; car elle couvrait Utrecht, et donnait une entrée facile au cœur de la Hollande, dès que les glaces rendraient le pays praticable[1]. » Luxembourg en avait promptement reconnu l’importance ; il venait de s’en emparer quelques semaines auparavant par une pointe audacieuse, à la « consternation » des gens de Leyde et de La Haye, qui voyaient autour d’eux se serrer le blocus. La ville prise, il y mit 2 000 hommes, sous un gouverneur énergique, le comte de la Marck, et commanda qu’on la couvrit par quelques ouvrages de défense. Les travaux, par malheur, se commençaient à peine ; il semblait difficile que, vigoureusement attaquée, la garnison, malgré sa vaillance, pût tenir « plus de vingt-quatre heures. » Mais, s’il était urgent de secourir Woerden, l’entreprise était malaisée. Les abords de la ville, entièrement inondés, offraient l’aspect « d’une vaste mer ; » et l’on n’y pouvait accéder que par l’unique moyen des digues, hérissées par l’ennemi de retranchemens, de palissades, qu’il fallait emporter avant d’approcher de la place.

Voilà ce qu’apprit Luxembourg en débarquant, le 11 au matin, à Utrecht. La promptitude de décision et le sang-froid dans le danger, qui furent toujours ses qualités maîtresses, n’éclatèrent jamais plus vivement qu’en cette extrémité. Il mande le marquis de Genlis, le seul officier général qu’il eût à cette heure sous la main, lui donne ordre de rassembler tous les bataillons d’hommes de pied demeurés à Utrecht, et toute la cavalerie, — sauf quelques escadrons nécessaires pour garder la ville, — et, sans perdre un moment, de se porter sur Harmelen, village situé sur la chaussée d’Utrecht à une lieue de Woerden, où il lui fixe rendez-vous. Ces mesures prises, il repart « à toute bride » pour le camp de S’Graveland ; il y ramasse son infanterie, quelques centaines de cavaliers, en tout moins de 4 000 hommes ; puis, à marches forcées, sur un sol détrempé, glissant, marécageux, il se dirige sur Harmelen. Chemin faisant, il fait allumer des fanaux et sonner les cloches des villages, pour avertir La Marck qu’on arrivait à son secours. Sa diligence fut telle qu’il fut au rendez-vous avant la nuit tombée, et qu’il eut le loisir, aux derniers feux du jour, de reconnaître de ses yeux les retranchemens de la digue du Vieux-Rhin, qu’il jugea « difficiles

  1. Mémoires du marquis de Feuquières.