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Zuylestein y avait pourvu « en homme qui entend son métier. » D’épais remparts de terres, des palissades serrées, des épaulemens bien garnis d’artillerie, en rendaient l’accès « formidable. » Une seconde digue, plus basse et plus étroite, partant du village de Camerick, formait angle avec la première et aboutissait au même lieu. Mais à celle-là on n’accédait qu’en traversant, l’espace de plusieurs milles, de vastes prairies inondées qui semblaient opposer un obstacle invincible. Ce fut pourtant par cet endroit que Luxembourg prit le parti de porter son attaque, espérant, dit-il, que l’ennemi « ne serait pas autant fortifié de ce côté-là que du côté d’Utrecht. » Il envoya sonder l’inondation d’Harmelen à Camerick. Mélac, chargé de ce soin, rapporta qu’il trouvait « environ deux pieds d’eau, » dont quelques watergans[1], semés de place en place, doublaient la profondeur. L’infanterie néanmoins, en se mettant dans l’eau jusqu’à mi-corps et en passant les fossés sur des « claies, » pourrait, ajouta-t-il, risquer la tentative ; mais pour la cavalerie, on n’y pouvait songer. Montbas, vieux routier du pays, confirma les dires de Mélac. Le général, sur ces rapports, partagea sa petite armée en deux corps inégaux. La cavalerie, soutenue par quelques hommes de pied, fut expédiée sur la grande chaussée d’Harmelen, « tambours battans, les mèches des mousquets allumées, » pour amuser l’ennemi, le tenir en haleine, distraire son attention de l’attaque véritable effectuée par le flanc. Puis, avec 3 000 fantassins, il se jette dans l’inondation, marchant lui-même à pied, en tête et l’épée haute, dans le grand silence de la nuit, parmi les eaux noires et profondes, courant à travers les obstacles avec une sorte de furie. Minuit avait sonné quand ils furent au bourg de Camerick, où rien jusqu’à cette heure n’avait révélé leur approche.

Une circonstance heureuse maintint jusqu’au dernier moment la sécurité de l’ennemi. Les premiers qui virent Luxembourg le prirent pour le comte de Horn, allant joindre le prince d’Orange. Il profita de la méprise, fit appeler le pasteur du bourg, l’assura qu’il venait « pour aider à prendre Woerden et chasser ensuite les Français de Hollande ; mais que, pour mieux y réussir, il était nécessaire de lui enseigner un chemin sûr pour se rendre sans bruit au quartier de M. de Zuylestein[2]. » La ruse eut plein

  1. Larges fossés pleins d’eau qui s’ouvraient au milieu des champs.
  2. Relation manuscrite de M. de Saveuse, loc. cit.