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exploits des Cosaques ; il y en a aussi de tout à fait réalistes et satiriques, par exemple la chanson de la fille qui, ayant gagné de l’argent d’un bout de la semaine à l’autre, boit le dimanche et n’a plus rien.


1er septembre.

On s’attache à l’horizon de la steppe, autant qu’à celui de la mer, et, ici, la campagne qui porte ce nom abonde en oasis. Le Tagamlik met de fantasques sourires à la surface des prairies : c’est une rivière indolente et capricieuse ; une partie de son cours est souterrain. Là où il lui plaît d’apparaître, elle forme à fleur de sol des étangs presque stagnans, ou bien elle se répand en marécages que dissimule une forêt de roseaux empanachés et mélodieux ; quelque trouée pratiquée dans leur épaisseur laisse apparaître soudain un clair miroir. Le Tagamlik est un repaire de canards sauvages, mais aussi de moustiques, et parfois un peu de malaria s’en échappe ; n’importe ! Comment résister au plaisir d’une promenade dans ces marais enchanteurs ? Le printemps venu, l’eau y déborde, paraît-il, de telle manière que pendant une quinzaine de jours les Théodoriens ont l’illusion de posséder un grand lac ou la Volga ; puis, elle baisse, baisse, et il ne reste plus que ce tapis humide où embaument, sous nos pieds, les sauges, les géraniums sauvages, où nous cueillons de larges asters, des chicorées odorantes, des chardons roses et la statice à grandes feuilles, dont les fleurs lilas rappellent de loin les touffes de l’héliotrope. Au besoin, on franchit un pas difficile sur une des planches, jetées un peu au hasard, qui représentent les ponts du Tagamlik sec, comme on l’appelle, devenu le Tagamlik mouillé depuis que les pluies qui ont suivi deux mois d’ardente sécheresse. L’odeur enivrante du chanvre se répand par bouffées. On le coupe, là-bas, on groupe en faisceaux ses longues tiges vertes ; des bruits lointains nous arrivent, filtrés par l’espace et dans une confusion très douce. Çà et là, s’agitent et se déplacent des taches rouges, une jupe, un mouchoir ; des feux sont allumés de distance en distance par les enfans, qui s’amusent à sauter par-dessus, en chantant je ne sais quelle mélopée monotone. Sur l’un de ces feux, est en train de cuire le repas du soir pour quelques travailleurs qui ne veulent pas rentrer chez eux avant d’avoir achevé leur tâche, — une chaudronnée de gruau de millet préparée au lard. Ces feux, ce bétail, ces charrettes éparses,