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qu’une chronique du moyen âge. C’est une suite lointaine et paradoxale, c’est une contre-partie et une forme nouvelle des Acta diurna populi romani. Nous avons le Journal d’un bourgeois de Paris. » C’est ici le Journal de tous les petits bourgeois de Rome, et des bourgeoises. Et il est d’autant plus intéressant que, les événemens reflétés dans ces sonnets étant proches de nous et connus d’autre part avec netteté, il est possible de confronter avec la précise vérité historique l’image qu’ils ont laissée d’eux dans les âmes populaires, et de pénétrer ainsi d’une certaine façon dans le secret de l’élaboration inconsciente des légendes.


IV

Toutefois je ne dois pas laisser croire que les sonnets de Belli n’aient qu’une valeur documentaire, et qu’ils méritent l’attention par ce qu’ils apprennent plus que par ce qu’ils sont. Non. J’ai essayé d’analyser les divers motifs d’intérêt historique, psychologique ou pittoresque qui peuvent y attirer le lecteur. Mais ce n’est là, en quelque sorte, que la matière de l’œuvre littéraire, dont, je n’ai point assez montré l’agrément propre. Belli est un monde, je ne dirai point comme Shakspeare, car je ne voudrais pas exagérer, mais au moins comme La Fontaine. On erre dans son œuvre comme à travers la vie : on y reconnaît les gens au passage, on devine leurs pensées, on reconstitue leur existence, on rêve à leurs aventures, — et l’on oublie l’artiste comme il s’est oublié lui-même. Je craindrais, si je l’oubliais plus longtemps, qu’on ne le jugeât mal, et que le charme le plus profond de ces sonnets ne fût peu sensible, si je continuais à m’y égarer, à les parcourir en tous sens pour y saisir les traits divers du modèle multiple que Belli a voulu peindre, sans y faire entrevoir le mérite spécial de l’écrivain et la nature de son génie.

Belli est un réaliste parfait. Qu’on purifie ce mot, pour le bien entendre, de toutes les affectations de grossièreté et de toutes les ambitions « scientifiques » dont sa signification a été entachée. Certes Belli n’est pas prude, et même il n’est pas chaste. Sur les six volumes qui composent l’édition récente de ses sonnets[1], il y en a un entier qui n’est formé que de sonnets

  1. Sonetti romaneschi di G. G. Belli, pubblicati dal nipote Giacomo a cura di Luigi Morandi, S. Lapi ed., Città di Castello, 1896.