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sel, itàcchete, den den dèn den den dèn, bbùn… — sifflemens, cris, éclats de rire, éternuemens, le bruit des roues qui s’éloignent, de l’argent qui tinte, de la pluie qui tombe, d’une porte qui s’ouvre, des cloches qui sonnent, d’une vitre qu’on brise… Il n’oublie rien des tics et des ritournelles de la conversation du bas peuple, les « que je dis, » les « qui m’fait, » les « qui dit qu’alle dit, » les « sauf vot’ respect, » etc., et il les place avec un art qui, sans rien ôter au naturel, leur confère une valeur comique qu’on ne soupçonnerait pas. Le Romain estropie les mots qu’il ne comprend pas ; Belli les écrit comme il les a entendus : Giove Esattore (Jupiter exacteur) pour Jupiter Stator, istruzzion di fedigo (instruction de foie) pour obstruction de foie, brigantiere pour brigadiere (brigadier), padre sputativo pour padre putativo (père putatif). Volontiers sentencieux, et élevé dans l’église, le Romain est fourni de citations latines dont il connaît le sens approximativement et qu’il accommode selon ses lumières. Belli les reproduit sans y rien changer : audace fortunaggiubba tibbidosque depelle (audaces fortuna juvat timidosque repellit), all’acqua de Venanzio (a laqueo venantium), sittranzi grolia mundi (sic transit gloria mundi), etc. Chaque soir, avant le dîner, on dit le rosaire en commun, tout en travaillant. La mère de famille ne comprend pas trop bien les mots latins qu’elle prononce, et les coupe d’admonitions pratiques. Belli l’écoute, et perpétue, d’un sonnet ridicule et touchant, l’ignorance de la bonne femme : « Avemmaria… Travaille… grazzia prena… Nena, vas-tu travailler !… ddominu steco… (la fille fait « ouf ! » et la mère continue : ) bbenedetta tu mujeri… Nena !… e bbenedetto er fru… Je te crève les yeux !… fruttu sventre’e ttu Jèso, San… As-tu fini ?… ta Maria Madré Dei… Mais je t’attends, à dîner !… »

Enfin, — et c’est là le miracle, — cette grande piété pour la vérité, ce dévouement absolu au naturel, ce sentiment aigu et toujours présent de l’esprit populaire, ce goût et cette curiosité du « verbe » sous toutes ses formes et à tous ses degrés, Belli unit et élève ces dons et ces efforts en poésie. De ces drames et de ces conversations, il fait des sonnets, et tels que nulle part on ne sent le moindre désaccord entre la forme immobile et l’extrême mobilité des sujets. De ce langage quasi faubourien, de ce vocabulaire si rebelle à toute contrainte, si bouillonnant de force inventive et de fantaisie, il fait des vers, et tels qu’on les croirait sortis de la bouche même des artisans et des commères