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Viens à la fenêtre, ô face jolie, — poitrine de lait, à bouche de miel, — car je veux te faire une sérénade, — je veux te jouer une tarentelle…


Ainsi chante Chiumella, que Nunziata, la cruelle, laisse dehors, et qui passe la nuit sous le ciel froid, ou, comme il dit, « à l’auberge de l’Etoile ; » et les vers expriment la tendresse anxieuse et comme la gaîté un peu forcée de son amour, l’air engageant et timide de son appel. Mettez, en regard ceux-ci :


Te penzeressi mo, gguercia pandorfa,
Befana nera, crapa mocciolosa.
Faccia da bbiribisse stommicosa,
Fijjaccia de Coviello e dde Magorfa.
D’esne vienuta a Rroma da la Torfa
Pe’ ffà l’impimpinata e la preziosa ?…


Et tu crois maintenant, louche lourdaude, — sorcière noire, chèvre morveuse, — dégoûtante tête de pipe, — sale fille de Coviello et de Magolfa[1], — que tu es venue de la Tolfa à Rome — pour faire la renchérie et la précieuse ?…


Ce n’est pas seulement le ton, c’est le son même qui diffère, et l’on ne peut s’empêcher d’y mettre l’accent d’une invective méprisante et dégoûtée. Il est difficile de mal lire les sonnets de Belli : les vers, avec la coupe des phrases et le jeu des syllabes et des rimes, imposent les intonations qui conviennent. Ils suggèrent tout à la fois les impressions du personnage qui parle, même les moins pathétiques, les plus fugitives et les plus subtiles : tel sonnet (Er deserto), où est décrit le silence et la désolation de la campagne romaine, en égale la tristesse calme, infinie et monotone. Tel autre (Er tempo bbono), où un Trastévérin exprime sa joie du beau temps revenu, inspire une gaîté printanière ; les mots s’épanouissent sur le papier, embaument comme les fleurs, réchauffent comme l’air attiédi sous le velours léger du ciel bleu, et murmurent comme le cristal d’une source limpide. Les impressions sont fixées par des termes dont immédiatement elles semblent inséparables : c’est le triomphe de l’art de Belli. Ses sonnets, ses phrases, ses vers apparaissent comme l’expression spontanée de la réalité même.

Cette conversion en poésie d’un réalisme scrupuleux, mais sans étroitesse, est si surprenante et si parfaite qu’on serait tenté

  1. Types comiques.