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question ou éludait d’y répondre. » Il ne répondait pas, parce qu’il interrogeait lui-même : tandis que ce gazouillement politique de jolies lèvres murmurait près de lui, il prêtait l’oreille au bruit d’armées qui faisait trembler la terre à l’Orient. Certain que la lutte devait se terminer par l’écrasement de « l’Homme » sous la masse de l’Europe, mais aussi que le génie pouvait suspendre le cours logique des choses, il ne voulait pas se trouver, par son hostilité, en avance sur les revers de l’Empereur. Un jour enfin, il se déclare : c’est à l’éloquence de deux faits qu’il se rend. La conspiration de Mallet et la retraite de la Grande Armée prouvent que le maître n’est invulnérable, ni au dehors, ni au dedans.


Il faut le détruire, dit Talleyrand, n’importe le moyen ! — C’est bien mon avis, lui répondis-je vivement. — Cet homme-ci, continua-t-il, ne vaut plus rien pour le genre de bien qu’il pouvait faire, son temps de force contre la dévolution est passibles idées dont il pouvait seul distraire sont affaiblies, elles n’ont plus de danger, et il serait fatal qu’elles s’éteignissent. Il a détruit l’égalité, c’est bon ; mais il faut que la liberté nous reste, il nous faut des lois : avec lui, c’est impossible. Voici le moment de le renverser. Vous connaissez de vieux serviteurs de cette liberté, Garat, quelques autres ; moi, je pourrai atteindre Sieyès, j’ai des moyens pour cela. Il faut ranimer dans leur esprit les pensées de leur jeunesse, c’est une puissance. Leur amour pour la liberté peut renaître. — L’espérez-vous ? lui dis-je. — Pas beaucoup, répond-il ; mais il faut le tenter.


Tout à coup Napoléon « saute de sa chaise de poste sur son trône, » et l’on apprend son retour imprévu aux Tuileries.


Grenouilles aussitôt de rentrer dans les ondes,
Grenouilles de gagner leurs retraites profondes.


Lui revenu, ce sont maintenant les revers qui semblent lointains : il demande des armées, la France les donne, déjà il les organise, et sa présence ôte aux Français les plus déterminés la veille l’espoir de résister. Mme de Coigny et M. de Boisgelin quittent Paris pour trois mois et, durant la campagne de 1813, M. de Boisgelin ne confie son plan qu’à une personne, il est vrai la plus considérable et la plus nécessaire à gagner. Il rédige en forme de lettre un Mémoire pour le Roi, expose « les chances de retour que pourrait avoir la famille des Bourbons, si elle entrait dans la volonté du siècle, en substituant présentement la forme monarchique constitutionnelle au sceptre absolu qu’avaient porté ses ancêtres… Les détails donnés étaient positifs,