Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/784

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

Il s’en faut d’ailleurs que cet esprit nouveau soit d’ores et déjà tout-puissant en Irlande. Quoi qu’en disent les plus fanatiques de ses partisans, la Ligue n’est point encore maîtresse en Erin, elle ne représente encore qu’une minorité, — si influente que soit cette minorité par son enthousiasme et sa force de propagande, — et en face d’elle il y a encore une majorité d’indifférens : bourgeois ou noblemen trop anglicisés pour comprendre la signification profonde du mouvement, hommes de peu de foi, qui n’y voient qu’un « genre, » une pose inoffensive, ou de peu d’énergie, amateurs de vaine rhétorique, de raiméis, comme on dit là-bas, et qui confondent toujours parler avec agir ; hommes politiques enfin, favorables, si l’on veut, aux idées nouvelles, mais jaloux parfois de la Ligue, de cette puissance sur laquelle ils n’ont pas réussi à mettre la main et qui prétend faire le salut du peuple en dehors d’eux. Mais cette opposition passive et sourde est peu de chose auprès de l’hostilité irréductible d’un petit noyau d’ « anticeltistes » déclarés, très puissans, que, par comparaison avec le parti politique ultra-tory et anti-nationaliste d’Irlande, on pourrait appeler les « Orangistes intellectuels, » et dont la violence à l’attaque montre bien qu’en Irlande, sinon en Angleterre, on ne se méprend pas sur la portée du mouvement qu’on affecte d’ailleurs de tourner en ridicule. Soutenus par le gros de l’opinion anglaise, — laquelle n’a pas actuellement pour le celtisme plus de sympathie qu’elle n’en avait, il y a un demi-siècle, quand le Times prenait à partie Matthew Arnold pour ses vues sur l’Etude de la littérature celtique, — ils ont pour centre d’opérations en Irlande Trinity College, la vieille Université dublinoise fondée par Elisabeth en 1592 pour l’usage de la « garnison » anglaise en Irlande, celle que les élèves d’Oxford ou de Cambridge appellent encore parfois, non sans dédain, « notre sœur silencieuse. » Du haut de ces murailles universitaires, la guerre a donc été déclarée au celtisme, voici tantôt trois ou quatre ans, l’occasion propice étant fournie par la réunion à Dublin de certaine commission d’enquête sur l’enseignement secondaire.

L’attaque fut des plus vives. Ecoutons le plus notable des anticeltistes irlandais, l’illustre savant J.-P. Mahnffy, senior