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Davis et les nobles penseurs de la Jeune-Irlande avaient bien essayé de lui infuser un esprit vraiment patriotique et national ; mais, si profonde qu’ait pu être leur influence sur la poésie lyrique d’un Clarence Mangan, sur la poésie politique d’un T. D. Sullivan ou d’une Ellen O’Leary, leur œuvre, trop tôt interrompue, n’avait pu porter tous ses fruits. Or, l’Irlande s’est naguère reprise à cette œuvre, comme par un contre-coup tardif des leçons de Davis. Avec la fondation par sir G. G. Duffy, ami et collaborateur de Davis, du Dublin Magazine en 1887, et, peu après, avec la création des deux sociétés littéraires de Londres et de Dublin, il a commencé de passer un souffle nouveau sur la littérature anglo-irlandaise. Elle se retrempe alors aux sources d’inspiration des poèmes et des légendes du passé, elle se raccorde à cette note celtique qui avait déjà si fort influé sur Swinburne et même sur Tennyson, elle se développe enfin en une magnifique floraison poétique. Standish O’Grady, T. W. Rolleston, Larminie, miss Nora Hopper, nous représentent les mythes d’autrefois rajeunis sous des formes nouvelles, suivant l’exemple qu’avaient déjà donné sir Samuel Ferguson et Aubrey de Vere. George Sigerson et Douglas Hyde transposent en anglais les vieilles poésies celtiques, avec une merveilleuse souplesse de rythme, en reproduisant les mètres originaux dans leur extraordinaire variété ; Jane Barlow, A. P. Graves, Katharine Tynan-Hinckson nous peignent l’émotion de la nature et de la vie rurale ; et tous ces divers courans poétiques se rencontrent enfin, à leur suprême puissance, dans la personne d’un maître, d’un artiste incomparable, W. B. Yeats.

Ce n’est pas que la forme, le goût, les représentations de ces écrivains de la renaissance littéraire anglo-irlandaise, — exception faite pour quelques-uns, Sigerson et D. Hyde, par exemple, — soient toujours parfaitement conformes à l’esprit celtique, au génie littéraire de l’Irlande. Plusieurs d’entre eux écrivent à l’intention évidente du public anglais ; Erin est pour eux un sujet d’étude plus qu’un élément de leur personnalité propre. D’autres, comme Blake, Lionel Johnson, George Russel, poussent même ce qu’il y a d’instinct idéaliste dans l’âme celtique jusqu’aux confins mystiques du symbolisme ou du néo-platonisme. Malgré tout, l’on ne peut nier que cette mise à contribution des richesses littéraires de la vieille Irlande n’ait eu son bon côté pour l’avenir du celtisme, et celui même de la littérature proprement