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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/795

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toute petite comédie de mœurs, prise à la vie rurale de l’Irlande d’autrefois : mais c’était la première fois, depuis un temps immémorial, qu’on représentait à Dublin une pièce irlandaise en irlandais. Aussi l’enthousiasme de la salle, à la première représentation, fut-il inouï, dirent les assistans ; des galeries, pendant les entr’actes, partaient de vieux chants irlandais, chantés religieusement, et auxquels le parterre répondait par des applaudissemens ; tout le monde sentait qu’un jour nouveau était né pour le celtisme, et l’on percevait enfin par quelque chose de visible et de matériel le fait que la littérature irlandaise était ressuscitée.

C’est en effet de la « littérature, » — au bon sens du mot, — que cette petite pièce de M. Hyde, au jugement de tous les gens compétens[1]. « Cela est irlandais et cela est littéraire, » écrivait un critique dans la Fortnightly Review ; « à la surface, de l’esprit, de la poésie, et, au fond, un humour profond, une éloquence qui touche en dépit de la raison. Cela pourrait se comparer avec un proverbe de Musset, ou mieux avec le Gringoire de Banville… » Qui plus est, c’est de la littérature « populaire, » comme doivent nécessairement être les premières productions d’une littérature renaissante, et comme sont d’ailleurs la plupart des œuvres de littérature proprement irlandaise qui se produisent actuellement en Irlande. Car il s’en produit beaucoup, de toute espèce, et chaque année davantage. Dès à présent, dit-on, il s’imprime à Dublin plus de livres en irlandais que de livres en anglais, sans parler des ouvrages religieux, lesquels ne se comptent plus. On publie les œuvres inédites de Keating et de ses contemporains, de ses successeurs, comme Eoghan Ruadh O’Sullivan, Egan O’Rahilly, etc. ; ou bien on reproduit en irlandais moderne les plus belles productions du moyen âge ; ou bien on édite les légendes populaires en les recouvrant d’une forme littéraire. Ces restitutions ne suffisent déjà plus : on a senti bien vite le besoin de créer du nouveau, d’exprimer en images les formes nouvelles de l’esprit national. Déjà l’Irlande a trouvé son Mistral en Douglas Hyde, son An Chraoibhin Aoibhinn, poète autant qu’apôtre, et dont les vers, vers pathétiques et simples sur la nature, la solitude et la vie des champs, écrits pour l’oreille non d’un grand public, mais de quelques milliers de paysans, sont

  1. Voyez la traduction anglaise dans la brochure intitulée Samhain, publiée par. M. Yeats.