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d’élémens très divers qu’est l’esprit anglais ; on le sent très manifestement chez quelques-uns des plus grands hommes, des plus grands poètes de l’Angleterre, chez Byron, par exemple ; or, il faut que, dans le génie britannique, l’élément celtique vienne toujours contre-balancer l’influence de l’élément germanique et celle de l’élément normand : ce n’est pas nous qui disons cela, c’est le grand critique Matthew Arnold, dont c’est la thèse dans son célèbre ouvrage sur l’Étude de la littérature celtique.

Lorsque naquit le mouvement gaélique en Irlande, l’impression générale fut qu’il venait trop tard dans un monde trop vieux : l’heure semblait passée, la cause perdue d’avance. Aujourd’hui, au contraire, quand on voit l’enthousiasme éveillé dans 1 âme populaire par la renaissance de l’idée nationale, quand on voit l’ardeur avec laquelle le peuple d’Irlande s’est mis à l’œuvre et l’intelligence avec laquelle il a compris ce qu’on attendait de lui, quand on voit le clergé prendre sa part au mouvement, et tous les obstacles que les promoteurs de l’œuvre ont su vaincre, le doute ne paraît plus permis quant au succès final. Il n’y a pas grand’chose à redouter de l’opposition déclarée des anticeltistes d’Irlande, dont la violence ne fait que gagner des recrues au camp gaélique. L’important, à l’heure actuelle, est que les directeurs du mouvement sachent rester à l’écart de toute politique ; qu’ils sachent venir à bout de ce péché mignon des Irlandais, le raiméis, la vaine rhétorique ; qu’ils sachent se garder, enfin, de laisser le mouvement dévier de sa vraie direction, de le laisser s’englober dans le mouvement « panceltique, » lequel s’est beaucoup développé depuis deux ou trois ans en Irlande et dont l’esprit n’est guère compatible avec l’esprit de la renaissance gaélique. L’objet du Panceltisme est de rapprocher, d’allier entre eux les cinq groupes de populations celtiques, Bretons de France, Irlandais, Gallois, Highlanders d’Ecosse et gens de Man. C’est un mouvement fort intéressant, à coup sûr, mais purement académique, et qui, s’il ne donne pas ombrage à l’Angleterre, ne sortira qu’à grand’peine du domaine historique, spéculatif ou sentimental. Les Irlandais, au reste, sentent bien qu’ils ne sont pas mûrs pour « ces longs espoirs et ces vastes pensées, » qu’ils perdraient leurs forces à vouloir en étendre trop loin l’action, et que le « Panceltisme » ruinerait sans retour leur « nationalisme. »

C’est en somme, avec le mouvement gaélique, une nouvelle phase de l’histoire d’Irlande qui commence : plaise à Dieu qu’elle