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dessein, il se jetait sur Charleroi, avec 10 000 hommes de renfort amenés par Monterey, gouverneur des Pays-Bas espagnols. Tout lui donnait l’espérance du succès, la brusquerie, l’imprévu de l’attaque, la faiblesse de la garnison, en grande partie composée de recrues, l’absence du gouverneur Montal[1] qui, sur une fausse alerte, avait couru vers Tongres. Or, Charleroi au pouvoir de l’ennemi, c’était pour nos armées la base d’opérations coupée, Luxembourg, Turenne et Duras sans communication entre eux, sans lien direct avec la France. Le cas était critique, et Louis XIV, comme il l’assure, en ressentit « une furieuse inquiétude. » L’énergie du comte du Montal sauva la partie compromise. Avec une bande de cavaliers d’élite, il passa par surprise au travers des troupes hollandaises et fit, le 20 décembre, une subite entrée dans la place, où son apparition releva tous les cœurs. Pendant ce temps, Duras, d’Humières, M. le Prince accouraient de divers côtés au secours de la ville. Voyant le coup manqué, Guillaume, deux jours plus tard, levait le siège de Charleroi, reprenait mélancoliquement, avec une armée fatiguée et par des chemins difficiles, la route de la Hollande, où le rappelaient en hâte les mouvemens agressifs du duc de Luxembourg.

On connaît assez ce dernier pour ne s’étonner point que, du jour où il sut l’absence du stathouder, il en ait voulu profiter pour lui faire, comme il dit, « recevoir quelque déplaisir en Hollande, pendant qu’il se promenait ailleurs. » — « Il ne faut, écrit-il encore, qu’une bonne gelée de deux nuits pour prendre le parti de les aller visiter d’un côté ou d’un autre. J’ai disposé toutes choses pour cela ; mais ce qui dépend du temps, on n’en saurait répondre[2]. » Cinq jours plus tard, le matin de Noël, pour la première fois depuis bien des semaines, un froid sec et piquant relègue au loin les ondées et les brumes ; un pâle soleil éclaire les campagnes glacées ; sur les canaux, sur les plaines inondées, se forme et s’épaissit une couche unie et résistante ; la plus sérieuse barrière qui se soit dressée jusqu’alors devant nos armées victorieuses disparaît, s’effondre d’un bloc. Guillaume et son armée ont encore une longue marche à faire avant de regagner leurs postes de défense. Et Luxembourg, ivre de joie, semble enfin sur le point de cueillir le fruit de ses veilles, de réaliser le dessein depuis si longtemps poursuivi : prendre et détruire Leyde et La

  1. , Charles de Montsaulain, comte du Montal, lieutenant général, 1620-1696.
  2. Lettre du 20 décembre. — Archives de la Guerre, t. 291.