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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/819

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des dégâts et pillages commis par le prince d’Orange dans sa récente expédition : « Ceux qui ont été brûlés, prétend-il, savent bien, par le soin que j’ai pris de le leur apprendre, que, si M. le prince d’Orange n’eût point fait de mal dans la prévôté de Binche[1], nous n’aurions point mis le feu à une seule maison, et que nous aurions vécu en Hollande comme des capucins. » Mais il n’insiste guère sur cette médiocre excuse, et se rejette plus adroitement sur des raisons tirées de la politique générale. Il importait, dit-il, de ruiner dans l’esprit public le prestige de Guillaume, « qui assurait les peuples de nous manger avec un grain de sel, » de le représenter à tous, tant en Hollande que dans le reste de l’Europe, comme incapable de défendre ceux qui se confieraient à la protection de son bras, et de frapper d’un coup brutal l’imagination populaire.

L’allégation fût-elle sincère, sur ce point il faisait fausse route ; l’événement démontra l’erreur de ce calcul. Il est vrai qu’au premier moment, la Hollande parut affolée. Dans les grands centres populeux régnèrent un trouble extrême, une terreur indicible. A Leyde, Amsterdam et La Haye, quelques matelots échappés de leur bord apportèrent, le 29 décembre, la nouvelle du désastre. Luxembourg, disaient-ils, était sur leurs talons ; dans quelques heures, avec ses soldats enragés, il arriverait aux portes de la ville. Une panique générale se déclara chez les malheureux habitans. Les canaux, sur l’heure même, se couvrirent de bateaux sur lesquels les plus riches embarquaient leurs enfans et leurs femmes, avec leurs biens les plus précieux. A Leyde, la foule refusa d’accueillir les soldats fugitifs, et fit sortir le magistrat pour présenter à Luxembourg, dès qu’on le verrait approcher, les clés des portes de la ville. A Amsterdam, la bourgeoisie « passa toute la nuit sous les armes, à la clarté d’une infinité de lanternes qui éclairaient comme en plein jour ; » les gens valides furent expédiés couper les arbres des avenues, en les faisant choir sur les routes pour retarder la marche de l’ennemi ; cette destruction se fit « au son des cloches et au bruit des tambours, » dont « le tintamarre incessant » jetait l’alarme aux environs dans les faubourgs et les villages. « Ce fut, dit un témoin, une [2]

  1. Guillaume, en levant le siège de Charleroi, s’était en effet jeté sur la petite place de Binche, qu’il avait livrée au pillage.
  2. Lettres des 10 et 27 janvier 1673. — Archives de Dijon, F. Thiard, et Archives de la Guerre, t. 319.