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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/160

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V

La tâche de Luxembourg était plus complexe, en effet, que ne l’imaginaient les plénipotentiaires ; l’abandon des régions conquises comportait mille détails d’une exécution délicate. Démolir ou mettre hors d’usage les ouvrages des villes fortifiées ; en retirer les garnisons, tout en renforçant certains postes dont la conservation était indispensable — Nimègue, Arnheim, les places du Waal et de la Meuse, — enfin conduire en France, à travers le réseau serré des troupes de la coalition, le gros de l’armée de Hollande, avec trois mille chariots, trois cents pièces de canon enlevées dans les places hollandaises, le tout dans la mauvaise saison et par des chemins défoncés : telle était la mission qu’il fallait mener à bonne fin en l’espace de quelques semaines. Louvois d’ailleurs, contre son habitude, s’abstenait d’instructions précises et laissait carte blanche au général en chef : « Le Roi ne vous prescrit rien, se remettant à vous de juger sur les lieux ce que vous estimerez à propos de faire, et ne vous commandant rien autre chose, si ce n’est de bien battre les ennemis, si a uns croyez pouvoir l’entreprendre avec quelque chance de succès[1]. »

Luxembourg accomplit la première partie du programme avec son habileté, sa prestesse habituelles. Le 15 novembre, Woerden, Crèvecœur, Bommel, Campen, Amersfort, Hardewick, six autres places encore de moins grande importance, étaient désarmées, démantelées, les approvisionnemens retirés ou détruits, les troupes qu’elles renfermaient concentrées à Utrecht, avec ordre et méthode, sans exactions ni violences. Des contributions modérées furent levées dans ces villes comme rançon de leur délivrance : « quelque malhabile homme que je sois[2] pour demander de l’argent, je les ai fait convenir qu’il fallait qu’ils en donnassent, et je pense que l’affaire se terminera comme on l’a souhaité. Peut-être auront-ils de la peine à payer le tout comptant ; mais on prendra des sûretés. » Utrecht « contribua » pour 550 000 livres, chiffre que les États ne trouvèrent pas exagéré. Il fallait redouter que l’exode des Français ne devînt

  1. 6 novembre. — Archives de la Guerre, t. 317.
  2. Luxembourg à Louvois, 13 novembre. — Archives de la Guerre, t. 330.