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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/171

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noirs de fièvre, cette contrée s’adosse à l’est aux montagnes des Mau et des Nandi. Plus loin, en continuant vers le soleil levant, après la descente du Kikouyou, toujours vert et fertile, le voyageur ne rencontre jusqu’à la côte que les ports. Ces déserts de l’Afrique centrale ne sont jamais des déserts de sable sans végétation. L’herbe y est tantôt verte, tantôt couleur khaki, tantôt brûlée. Ici, c’est la plaine légèrement ondulée, ressemblant à un camp de Châlons équatorial, où les troupeaux de zèbres et d’antilopes évolueraient en escadrons. Ailleurs, le pori a l’aspect d’un verger brûlé par le soleil, où çà et là, comme les pommiers en Normandie, seraient piqués des arbres en parasol qui ne donnent pas d’ombre et ne produisent que des épines. De loin en loin, un ruban vert au feuillage dense indique la présence de l’eau. En Afrique centrale, l’arbre et l’eau sont comme deux frères siamois qui ne vivent pas l’un sans l’autre. L’arbre dont le pied baigne dans le ruisseau défend celui-ci contre le soleil qui le tarit dès son arrivée en plaine. Mais l’eau est rare et même absente. Peu de temps avant mon arrivée à Nay-Robi, j’appris qu’un commerçant était mort de soif avec tous ses hommes dans le grand pori qui s’étend entre le Kilima-Njaro et le Kikouyou. Les Massaïs envoyés à sa recherche n’avaient pas eu un meilleur sort. Et pourtant le Massaï connaît le pori mieux que l’Arabe le désert. De place en place, là où ne se rencontre point la mouche tsétsé, mortelle aux animaux domestiques, mais bénigne aux zèbres et aux antilopes, le chasseur aperçoit de grands troupeaux de bœufs, de moutons et de chèvres, qui paraissent abandonnés. Les bergers noirs sont tapis au milieu de leurs bêtes. Si vous avancez, ils se dressent dans le costume de Paris, avec la peau de mouton en sautoir, l’arc et les flèches, le grand couteau au flanc, beaux comme des antiques dans leur nudité. Le Massaï fut longtemps la terreur des caravanes ; il est nomade, marcheur extraordinaire ; connaît dans le pori tous les sentiers, toutes les pistes des zèbres ou des antilopes. Leurs kraals sont plantés dans la plaine comme ces parcs à moutons qu’on voit en Beauce. Le long de l’enceinte et à l’intérieur sont rangées les cases des gens, tandis que les bêtes sont parquées au milieu.

J’étais parti de France à l’improviste, sans programme arrêté, avec l’idée d’étudier dans la mesure de mes moyens la mise en œuvre du plan de Cecil Rhodes, « la route du Cap au Caire. » Après quelques jours en Égypte, j’eus la conviction que le grand