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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/18

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où j’ai trouvé le parfait repos. Je ne puis pas croire que ma certitude me trompe, parce que sachant maintenant le principe et la cause de l’erreur, la méthode que j’ai suivie a été calculée nécessairement de manière à éviter d’elle-même l’erreur ; je ne puis pas être chassé de mes croyances par quelque contradiction avec un autre principe, puisque le mien est le seul que j’admette et dont je dérive tous les autres, puisque sa nature propre est la conciliation des contraires, puisque enfin toutes mes nouvelles recherches sur des sujets différens apportent de nouveaux soutiens à mes premières preuves.

Crois que j’estime assez ma vie et mon bonheur, pour ne pas les confier à quelque chose de fragile. J’ai voulu plus que de la géométrie et je l’ai.

Je ne veux pas me jeter dès à présent dans la vie politique ; je m’abstiens, et tu sais pourquoi ; je ne veux pas faire une action importante sans savoir au juste si elle est bonne ; je ne veux me jeter dans aucun parti sans savoir s’il a raison ; je ne veux défendre par mes écrits aucune doctrine, sans être convaincu qu’elle est rationnelle. Je dois donc avant tout étudier la nature de l’homme, les devoirs, les droits, la société, l’avenir de la race humaine, et ce vers quoi elle marche en ce moment. Quiconque est aveugle doit s’asseoir. En faisant ainsi, il est sûr du moins de ne nuire à personne.

Pour toi, homme étrange ! tu es si fort pressé de combattre, que tu veux t’enrôler avant de savoir quel est le bon parti ; tu es si désireux de sortir de l’inutilité et de l’oisiveté philosophiques que tu veux courir la chance de faire du mal.

Est-ce là de la raison, et ne sens-tu pas que plus tu as de force et de séduction dans l’éloquence, plus tu peux être nuisible et funeste ? Que seras-tu donc ? un esclave ; car j’appelle esclave quiconque agit par préjugé, passion, esprit de parti, et n’obéit pas aux seules démonstrations du raisonnement. Eh ! mon ami ! Si tu étais un homme vulgaire, un esprit faible ou petit, un homme sans courage ou sans amour de la vérité, je te dirais de suivre le torrent, de te livrer à la chance, de faire comme cette foule d’aventuriers et de niais où se recrutent tous les partis. Mais tu n’es pas fait pour rester dans la foule. Tu en sortiras, et puisque tu peux commander et conduire, il faut que tu apprennes ce qui est le bien et le but. Veux-tu n’être qu’une machine de guerre ? Et ne sens-tu pas de quelle amère douleur peut-être un jour